1761. L'Utile, une frégate de la compagnie française des Indes orientales commandée par le capitaine Lafargue, fait naufrage au large de Madagascar où quatre-vingts Malgaches achetés frauduleusement pour être revendus comme esclaves échappent à la noyade en prenant pied sur un îlot sablonneux.
Quinze ans plus tard, le chevalier de Tromelin ramène à l'île de France sept femmes et un nourrisson, seuls survivants de l'île des sables.
Roman de l'après et récit des silences, celui des responsables comme des victimes, L'île des sables retrace le combat effréné de l'intendant Maillart du Mesle pour rendre justice aux Noirs et lutter contre l'oubli.
Une quête éperdue de la vérité qui s'accomplit enfi n dans l'incantation où se délivre la parole de l'île.
Sait-on qu'il y eut au bagne une catégorie de réclusion spécialement conçue pour les condamnés « coloniaux » de couleur en provenance des Antilles françaises et de la Réunion ? Se souvient-on qu'ils furent environ cinq mille à survivre ou mourir dans les camps les plus durs, employés aux travaux souvent les plus pénibles, avec les forçats, pour des fautes allant du délit de vagabondage au crime d'incendie ? La société créole est en train de se reconstruire, au lendemain de l'abolition de l'esclavage, et reçoit une main-d'oeuvre engagée d'origine indienne en bonne place dans les convois qui partent annuellement des Saintes à destination de la Guyane en passant par la Martinique. De même qu'il existe un code pénal colonial, il existe une prison coloniale, et le pénitencier de l'îlet à Cabrit, constitué maison de force et de correction pendant les cinquante années de son existence, est la plaque tournante d'un circuit pénitentiaire hésitant, dans le dédale des législations coloniales, entre exploitation de la population pénale en Guadeloupe (où la colonie veut créer son bagne) et rejet de la même population de « transportés ».
Le beau nom de Désirade est loin de correspondre, en Guadeloupe, au malheur insulaire expérimenté par des dizaines de jeunes exilés qu'on y déporta par lettres de cachet sous Louis XV et son ministre Choiseul. Eloigner des « mauvais sujets » dans les colonies n'est pas nouveau, mais les tenir enfermés dans un lieu spécialement conçu pour servir de maison de correction réglementée par ordonnance est une première appelée par la suite à généraliser toute une géographie de la peine et de l'île-prison. La Désirade est donc, à ce titre, un lointain modèle intéressant l'histoire d'une insularité pénale et carcérale en Guyane et Nouvelle-Calédonie. Tout un contexte historique étend par ailleurs aux populations du Canada l'intérêt d'un livre où l'on apprend ce que fut le sort, après celui de lépreux, de prisonniers partis sans jugement des quatre coins du royaume à la Désirade en passant par Rochefort et la Martinique.
Voici réunies diverses approches autour de l'espace insulaire en littérature. L'île est un témoin du temps. C'est aussi le théâtre d'une histoire où l'îlien devient premier homme et fonde un ordre ambigu : parfait mais fragile, organisé mais friable, et dont les paradis sont des prisons qui conduisent, après Bougainville et Darwin, après la robinsonnade et ses imitateurs, à l'envers carcéral insulaire exploré chez Jules Verne et dans des récits du bagne outremer. Auteurs entre autres étudiés : Jules Verne, Daniel Defoe, Charles Darwin, Charles Garnier, Jean Mariotti, Georges Baudoux, Pierre Loti et Marguerite Yourcenar.
Éloigner : telle est l'alternative offerte à l'enfermement pour la punition du crime. Il ne s'agit plus seulement de soustraire au territoire national, il faut aussi retrancher de l'espace continental. Ainsi naît l'idée de transporter des condamnés prioritairement dans les îles. On trouvera de la sorte un prétexte à l'annexion de celles-ci, d'abord, ensuite un moyen pour les coloniser. Pour autant, l'insularité reste une prison : la mer y a des murs et la géographie, qui n'a pas assez d'isoler, punit de surcroît par la distance.
Dès le milieu du XIXe siècle, dans le double but d'assainir ces lieux coûteux et corrompus, d'aider à l'aménagement de colonies trop peu hospitalières et florissantes, et dans un contexte d'intolérance réveillé par une délinquance croissante, germe l'idée de déporter les bagnes vers la lointaine Guyane, puis Nouvelle-Calédonie. Ainsi, entre 1852 et 1938, date de leur fermeture, plus de 100 000 condamnés, hommes et femmes, seront acheminés vers ces lieux maudits. Si certains, très rares, parvinrent à s'en échapper, tel le fameux "Papillon", nombre d'entre eux échouèrent ou périrent dans cette folle tentative. La plupart ne revinrent jamais, contraints à l'exil forcé une fois leur peine purgée. Décimés par la maladie, l'épuisement, les mauvais traitements, ou plus brutalement, dans la lunette de la " bascule à charlot " qui trancha bon nombre de fortes têtes, ils furent quelques 20 000 autres à succomber dans les conditions les plus indignes, les plus inhumaines dont est capable l'homme envers l'homme.
Trancher la communication des corps en retranchant la maladie dans des limites imposées : ces deux conditions de coupure et de clôture ont été remplies par la géographie fragmentée des archipels de Guadeloupe, Guyane et Nouvelle-Calédonie, pour les lazarets de quarantaine et les léproseries.
La terre. On l'habite. On y vit. Comme on en vit. Comme elle nous habite. À mi-chemin de la scène et du tableau, des lieux se déroulent et des choses arrivent. Autant de variations sur l'amour terrestre et sa difficulté. Rien ne finit, mais tout est comme à l'arrêt, dans l'impossible élucidation du non-secret des apparences.
L'espace était souvent l'absent du champ littéraire. On le voit désormais pointer dans des productions géopoétiques ou dans des discours géocritiques. Au-delà de l'intérêt mais aussi des limites du mimétique et du tout-textualité, sont lus des espaces écrits d'utopies méconnues du tournant des Lumières ou du premier romantisme aussi bien que d'oeuvres moralistes ou romanesques, de récits de voyage ou de vie, de tableaux de moeurs ou de nature, entre le XVIIe et le XXe siècles.
La solitude et la servitude présentes dans les oeuvres de Defoe et de Cervantes feront naître le roman moderne et entendre des voix jusqu'alors inattendues. La prison serait-elle une limite où le confinement du lieu s'ouvre aux confins de la création ? La peine a sa littérature et la prison son histoire. De cellules en prisons d'État, de bagnes en colonies de déportation, Sue Dumas, Stendhal, Hugo, Balzac, ou Verne oscillent entre imaginaire criminel et conception pénal. Or le roman dit plus qu'il n'est écrit.
Récit d'enfance où la mémoire affleure à la surface des choses, à la recherche d'une origine. Récit d'errance où la solitude et la cruauté sont dans les choses à l'origine.
On n'a plus guère idée du succès connu par Loti chez ses contemporains ; mais ce plus jeune académicien aurait vieilli, dit-on, victime en postérité d'une écriture et d'une pensée tournées vers un souci constant : celui de sa disparition. La renommée de Loti reposerait de son vivant sur un malentendu. Loti l'enchanteur est d'abord enchanté de lui-même. Or, il a fini par s'abîmer dans son oeuvre. D'où les clichés. Mais ces aspects viennent à se retourner. Les derniers moments sont les premiers. L'exotisme est l'autre nom d'un quelconque ordinaire.
L'auteur a vu dans le voyage un moyen de prendre au mot les choses. Une question se pose en effet : qu'est-ce qu'il advient des choses en passant dans les mots ? Par-delà le récit de voyage et le tableau de moeurs, au-delà du journal intime et d'impressions, le but est moins de faire des rencontres ou de renseigner sur des pays que de se demander si le réel est encore possible, et comment s'en saisir, afin d'aussitôt s'en détacher. Car une condition de voyage en même temps que d'écriture est la distance. On ne s'en va que pour disparaître. On ne revient que pour se découvrir. Aussi lira-t-on ces instantanés pris sur le vif à des morceaux de continents comme autant de miniatures où le réel est en définitive abstrait des réalités qui lui donnent une importance ; ou comme on pourra, puisque ce n'est pas nous qui créons, mais le monde incréé qui nous construit.