« Les manières de faire sont toujours des manières de penser » disait Jean-Louis Comolli. Avec le cinéma pour désir partagé et le documentaire comme territoire commun, des cinéastes échangent leurs idées, leurs expériences, leurs points de vue. Réunis par petits groupes en ateliers, ils ont élaboré au fil des années une réflexion qui croise choix d'écritures et questions éthiques. Les textes réunis ici sont des synthèses des débats qui ont rendu publiques quelques notions-clés du cinéma documentaire : celles d'« histoires », de « personnages » ou de « héros documentaire », ou d'autres questions récurrentes et essentielles : le sujet, l'autre, la peur, la parole, le réel... Des réflexions tantôt personnelles, tantôt communes, des tâtonnements ou des positions fermes et éprouvées se côtoient pour éclairer les démarches, nourrir la pratique et la pensée de celles et ceux que passionnent le cinéma documentaire et ses enjeux. À l'occasion de ses trente ans en 2022, Addoc réédite cet ouvrage - publié en 2002 - augmenté d'une postface de Catherine Bizern. Créée en France en 1992, l'association des cinéastes documentaristes - Addoc - est ouverte à tous les cinéastes engagés dans une pratique du cinéma documentaire et désireux
Née en 1957 à Toulouse, Françoise Nuñez est d'origine espagnole. Elle a commencé à photographier en 1975. Elle apprend le tirage noir et blanc dans l'atelier de Jean Dieuzaide dont elle est l'assistante entre 1979 et 1980. Elle épouse Bernard Plossu en 1986 et, depuis, en plus de son travail personnel, elle réalise une part importante de ses tirages. C'est une photographe voyageuse : l'Inde, l'éthiopie, l'Amérique du Sud, le Japon ... « Je ne photographie pratiquement qu'en voyage. Quand je pars, je ne pense qu'à ça. Je veux être réceptive à tout, loin d'un quotidien et d'endroits que je connais trop bien. J'aime l'inattendu, la surprise, l'émotion de la découverte. Et j'essaye de faire ressentir toutes ces émotions. » « L'Inde, Françoise y avait pris goût, au point d'y retourner souvent, pour continuer à la photographier, du Nord au Sud, à Calcutta et à Madras. [...] Son dernier voyage, en 2009, a été pour les ruines de Hampi, qu'elle rêvait de voir, tellement on nous en avait parlé. Voici les photographies inédites de ces nombreuses ruines perdues dans un espace gigantesque, où elle a fait des merveilles, marchant avec sa soeur Isabelle, calmement, avec son objectif de 50 mm. Tout simplement. » nous dit Bernard Plossu dans sa préface. En décembre 2021, Françoise Nunez nous quittait. Ce petit livre, le troisième de Françoise publié par nos soins, lui rend hommage.
De Zéro de conduite à Tomboy. Des films pour l'enfant spectateur est le projet éditorial d'une association d'éducation artistique à l'image - Les enfants de cinéma - en charge pendant près d'un quart de siècle - de 1994 à 2018 - du dispositif national « École et cinéma ». Elle a constitué au fil des années un patrimoine exceptionnel, et jusqu'ici inaccessible sur le marché du livre, de nombreux textes sur le cinéma, à travers des monographies sur des films de toutes époques et de tous pays, les Cahiers de notes sur ...
Ces cahiers étaient destinés aux instituteurs engagés dans le dispositif, ils leur étaient offerts comme matériel pédagogique accompagnant les sorties de leurs classes au cinéma.
En près de 25 ans d'une politique éditoriale exigeante, la collection de 114 Cahiers de notes a ainsi constitué une histoire et une traversée de l'art cinématographique, des origines jusqu'au cinéma le plus contemporain.
Chaque cahier était confié à un auteur unique, spécialiste ou non du cinéma. Dans ces monographies, plusieurs pages étaient réservées à l'expression d'un « point de vue », celui de leur auteur, regard personnel sur l'oeuvre envisagée. Parmi ces 114 « points de vue », une trentaine ont été retenus pour constituer l'ouvrage aujourd'hui proposé.
Le choix des 30 titres a reposé sur le principe d'une mise en regard, deux par deux, des films, chacun s'enrichissant de la confrontation avec son voisin, créant ainsi de nouveaux points de vue, suscitant de nouvelles idées.
Une brève introduction de chaque couple de films - rédigée par Hervé Joubert-Laurencin - justifie leur sélection et leur mise en relation. Une double page de photogrammes, qui eux aussi se répondent, illustre à son tour les liens entre les films.
L'ouvrage, de 488 pages, présente un vaste panorama de la pensée du cinéma en France ces vingt-cinq dernières années.
En 1976, l'artiste, photographe et designer belge Herman van den Boom sillonne les États-Unis à plusieurs reprises. Son ami regretté, le Néerlandais Toon Michiels, l'y accompagne. Les deux hommes exercent les mêmes activités, et ils partagent les mêmes idées. Le but du voyage : photographier des thèmes typiquement américains, panneaux d'affichage, enseignes lumineuses, personnages publicitaires et drive-in. Ils bénéficient d'une aide financière, pour mener à bien deux projets artistiques : Toon Michiels photographie les enseignes lumineuses et Herman van den Boom les cinémas. Depuis son enfance, van den Boom est familier des cinémas. La famille de sa mère en exploitait plusieurs, et il jouait souvent sous le grand écran. La grande époque des drive-in était déjà révolue, alors que dans les années 1950 et 1960, les États-Unis en avaient compté environ quatre mille. Les photographies de drive-in américains de Herman van den Boom montrent que la plupart n'étaient plus, en 1976, en fonction depuis longtemps ; il ne reste que des paysages vides, inhospitaliers, et des vestiges de constructions. Des surfaces de projection géantes fixées entre deux poteaux, et d'immenses panneaux DRIVE-IN THEATRE, Elko MOTOR-VU ou encore 101 MOVIES...
Les mots du roman, les espaces et les temps du livre laissent loisir au lecteur de postuler à son rythme l'intériorité des êtres et la vie secrète des choses et des paysages. Mais le cinéma n'ouvre à l'impalpable et à l'invisible que par des corps d'acteurs dans un monde construit par des machines optiques et leurs servants, pour les contraintes d'une séance. C'est de son impureté même que, dans l'éphémère retrait d'un lieu profane et la durée d'une représentation, il tire son irremplaçable puissance à illuminer et animer autrement tous les autres arts. Les peintres y deviennent chorégraphes et les musiciens sculpteurs du temps.
L'hypothèse de L'humanité est dans son titre : l'humanité minuscule aux prises dès l'origine du monde avec le mal, mais armée de ses invincibles petites bontés. Mieux qu'un générique, ses cinq premières minutes déterminent son engendrement. J'arrive, dit-il. Rédigés par Bruno Dumont, son synopsis en ouverture du livre et ses notes de tournage, confiants dans la force des mots
Bernard Plossu est un photographe français parmi les plus importants et les plus influents. Cet ouvrage, en forme de bilan, montre une sélection des photographies effectuées au cours de ses nombreux voyages en Belgique, au fil des années (des années 1980 à aujourd'hui).
Photographies prises en passant, l'air de rien, à Anvers, à Gand, à la côte, à Bruxelles, à Liège - et même à Crisnée -, en Ardennes... pour y rencontrer son « galeriste » et ami Jean-Louis Godefroid, son éditeur belge Guy Jungblut ou son « collègue » Marc Trivier.
La fête foraine, qui a en partie déserté la vie, hante le cinéma. Il est né en son sein alors qu'elle se modernise au crépuscule du XIXe siècle. Cette parenté indique un désir commun : exciter la vue et façonner une expérience du mouvement et de l'extraordinaire, faire de ce que l'on voit ce que l'on vit. Dès lors, quand elle surgit dans le film, que fait la fête foraine au cinéma ? Pour élucider cette question et cerner cette intime relation, le livre revient aux années vingt, de Coeur fidèle d'Epstein à L'Aurore de Murnau. Il propose de regarder ensemble Entr'acte de René Clair et Anticipation of the Night de Stan Brakhage, de faire tenir ensemble Borzage et Ophuls, Bresson et Demy, Minnelli et Fuller, Welles et Hitchcock dont L'Inconnu du Nord-Express, comme on tourne sur un carrousel, revient régulièrement. Le cinéma s'invente depuis les attractions mécaniques : elles lui apprennent à tourner et révèlent une relation des cinéastes à leur art, une possibilité d'improvisation ou de machination. Certains trouvent dans leur rythme et leur narration un lieu puissant de figuration du désastre et de l'extase, de la réunion et de la désunion des corps. D'autres, parce que le cinéma et la fête foraine partagent un même plaisir du simulacre, mesurent la fiction aux histoires que suscite la foire. Si le cinéma apparaît comme le frère siamois de la fête foraine, il s'y frotte aussi à ses limites : parce qu'elle est avant tout un renversement, la fête foraine est une force qui déforme le film, l'excède et se joue de lui. Elle le réfléchit, dans un miroir déformant.
La figure du ventriloque accompagné de sa marionnette sur les genoux est contemporaine de l'invention du cinéma. Simple coïncidence ? Son art, remarquons-le, s'inscrit dans l'histoire des médias techniques qui ont dissocié le corps de la voix, qu'il s'agisse du phonographe ou du téléphone, actualisant les puissances de la voix acousmatique. Curieusement le ventriloque apparaît à l'écran dès l'âge du muet en jouant sur le registre de l'étonnement et de l'inquiétude par des effets de dissociation et de dédoublement. Nombreux sont les films qui explorent sa personnalité insolite, ambivalente, en proie au larcin, à la simulation, au désordre psychique.
Au-delà de la présence littérale du ventriloque, on peut observer un usage plus métaphorique de la ventriloquie dans les effets fantastiques de la voix dissociée, le rôle du bonimenteur ou du traducteur, le contrepoint du visuel et du sonore. Autant de stratégies qui permettent, en dénudant le procédé cinématographique, en renversant le principe d'autorité, de donner à entendre des voix dissidentes.
Sans doute la ventriloquie trouble-t-elle l'opposition par trop schématique de la lettre et de la métaphore au gré de ses jeux de symétrie et de réversibilité. Qui est le ventriloque de qui ? Le critique est-il le ventriloque du film, ou l'inverse ? Ne sommes-nous pas devenus désormais les ventriloques de l'histoire du cinéma ?
Depuis longtemps, je collecte les images. Et peu m'importe de ne pas avoir pris le cliché moi-même, de ne pas avoir choisi le cadrage, la composition, « l'instant décisif »... Un(e) autre l'a déjà fait ! Ce que je choisis c'est une image pour ce qu'elle m'évoque ; j'aime observer les photographies qui s'offrent à mon regard. C'est souvent l'ellipse qui m'intéresse, les visages qui se dérobent, les traces du vécu sur le papier imprimé, les sels d'argent qui font vibrer les noirs... un moment présent figé sur lequel le temps a fait son oeuvre. Cette matérialité m'émeut, elle est comme une mise en garde. La photographie est une capsule temporelle, elle est un voyage : hier, aujourd'hui... les temps se mélangent... elle joue de notre perception du temps.
En intervenant sur une photographie ancienne, on permet au passé de refaire surface dans le présent. Fascinée par ce jeu d'anachronisme, j'aime observer les images autant que les déconstruire : évider, broder, mettre en évidence, jouer avec la lumière, les flous, les trous. Percer, voir ou percevoir... Jeux de regard, entre présence et absence, mystère et évidence.
Jean-Luc Godard est sans doute le cinéastes dont l'oeuvre a interrogé avec le plus de constance et de lucidité la place des machines dans le monde du cinéma et bien au-delà.
Godard devant la fameuse table de montage Steenbeck, Godard devant un banc de montage vidéo ou face à la machine à écrire des Histoire(s) du cinéma : nombreuses sont les représentions du cinéaste en technicien manipulant les appareils. Mais au-delà de la photogénie de Godard en artisan solitaire, ses films semblent parcourir et interroger sans cesse les liens entre cinéma et machines, de l'imposante caméra Mitchell NBC qui ouvre Le Mépris (1963) à l'installation vidéo de Numéro deux (1975), du ballet de caméras montées sur des grues devant les tableaux de Passion (1982) aux images de défilement de la pellicule qui ponctuent les Histoire(s) du cinéma (1988-1998). Quand dans Soigne ta droite (1987), il filme les Rita Mitsouko en plein enregistrement de leur nouveau disque, vingt années après avoir passer trois nuits avec les Rolling Stones à l'Olympic Studio de Londres pour One + One (1968), il s'agit encore pour Godard d'observer des musiciens face à des machines, fasciné sans doute par une forme d'autonomie qu'il va lui-même conquérir peu à peu jusqu'au Livre d'Image (2019), entièrement réalisé à partir d'images et de sons préexistants.
Si les relations entre machines et création font l'objet d'une attention particulière, la présence récurrente d'autres machines ne manque pas de susciter l'intérêt des auteurs. Parmi celles-ci, la voiture tient une place très ambigüe, à la fois symbole de la modernité et emblème d'une civilisation des loisirs dont Godard perçoit très vite les limites. Dans le même ordre d'idées, l'omniprésence des appareils d'enregistrement et de diffusion de la musique (tourne-disques, poste de radio) témoigne de l'avènement d'une société de consommation prête à tout pour soumettre la culture au capitalisme le plus débridé. Si la machine permet de penser ensemble techniques et esthétiques, elle nourrit aussi chez Godard, avec une remarquable diversité, une vision politique du monde.
En quelques décennies, notre rapport à l'image s'est modifié. Des premiers ordinateurs personnels à la multiplication des écrans aujourd'hui, tout est devenu image mouvante, de l'interface informatique aux articles de presse que nous déroulons sur nos smartphones. D'un autre côté, la démocratisation des moyens de filmer et l'avènement d'Internet ont transformé presque tout citoyen en producteur et diffuseur d'images. Comment le cinéma, père de l'image animée, réagitil face à cette nouvelle configuration de l'audiovisuel ? Ce livre étudie les films qui ont fondé leur forme et leur récit sur les flux numériques, des fictions se déroulant intégralement sur l'écran d'ordinateur d'un personnage aux oeuvres qui réutilisent les images disponibles en ligne, de YouTube aux caméras de surveillance en passant par Google Map. Ensemble, ils dessinent une esthétique de la capture d'écran : une façon pour l'art cinématographique de répondre aux images en ligne en se les appropriant et en modifiant leur dispositif d'affichage, du petit écran LCD à la grande toile blanche. Si ces films semblent jouer avec une matière qui leur est extérieure, ils opèrent surtout le rôle de révélateur en décontextualisant nos images quotidiennes. Qu'ils mettent en évidence le cauchemar panoptique de Google Street View ou réalisent le rêve démocratique des plateformes de partage en ligne où la poésie serait faite par tous, ils mettent à nu, dans leur ensemble, les logiques des flux numériques en utilisant, justement, ces mêmes flux. Ce livre se veut être un point de départ pour comprendre ces films qui nous parlent de notre époque avec l'esthétique propre à cette époque, ne serait-ce, déjà, qu'en les regardant dans leur ensemble. Il est une analyse aussi concrète que réflexive d'une forme émergente, passant des enjeux légaux et techniques aux questions éthiques. Il montre ce que sont ces films de capture d'écran et, surtout, ce qu'ils ont à dire de ces autres images, désormais majoritaires.
Cet ouvrage s'inscrit dans la collection Les carnets, une collection - mise au point avec Bernard Plossu - qui se propose de revisiter les archives d'un photographe ou d'un collectionneur et d'en extraire des séries thématiques (des faits, des objets, des situations, des évocations...).
Bernard Plossu a extrait de ses archives des images montrant des lecteurs ou des lectrices - au Mexique en 1966, en Inde en 1989 ou à Paris en 2017 - en train, en rue (souvent) ou au lit (parfois) ; des écrivains au travail - Perec, Butor, Bailly ou Noël ; des librairies et des bibliothèques - à Palerme, à Berkeley ou à Delhi ;
Des hiéroglyphes et des graffitis - en Égypte ou à Toulon. Pour notre plus grand bonheur de lecteur.
Ce livre s'inscrit dans une continuité. Un précédent volume, Antonioni / Ferrare, interrogeait une ville et un mode d'écriture. Il s'agissait d'écrire sur le cinéma d'Antonioni et sur la ville de Ferrare qui, c'était une hypothèse, a construit son regard, et d'expérimenter par ailleurs un mode d'écriture à la lisière de la fiction.
Réfléchir à l'urbain et tenter de trouver une écriture « juste » pour parler des films reste le moteur de ce nouveau projet.
La ville de Seraing sert d'écrin à presque tous les films réalisés par les frères Dardenne.
L'hypothèse, cette fois, est qu'en travaillant sur la durée et en inscrivant leurs films dans un environnement social précis, en accordant une place déterminante au travail et à ses variantes dans le temps, Jean-Pierre et Luc Dardenne ont contribué à définir un paysage.
La construction de l'ouvrage repose sur trois séjours successifs à Seraing en compagnie de Guy Jungblut, à nouveau sollicité pour les photos qui encadrent l'écrit. Ces photos n'ont pas le statut de simples illustrations. Les séquences photographiques constituent un regard autonome sur la ville, ses particularités et ses failles. À plusieurs reprises, elles ont relancé le travail d'écriture qui parfois s'épuisait entre descriptions vaines et réflexions sociologisantes déconnectées du terrain.
Le cinéma a été inventé à la fin du siècle d'Alexandre Dumas, de Balzac et de Jules Verne ; très vite, il fut prêt à prendre la relève de toutes les formes de littérature, de l'invention de mondes possibles à l'histoire des choses advenues, en passant par l'exploration du monde réel et celle des sentiments humains. C'est ce qu'un lieu commun de l'histoire du cinéma a résumé par le partage entre une voie Lumière, réaliste et terre-à-terre, et une voie Méliès, imaginative et fantaisiste. C'est oublier que le cinéma a été aussi, à sa naissance, l'exact contemporain de l'homme invisible et de l'inconscient freudien, et qu'il allait être bientôt celui de la relativité et du surréalisme. Armé d'entrée de jeu pour la capture automate des apparences et pour la fabrication de mondes merveilleux, le cinématographe se découvrit de plus en plus attiré par cet équivoque mais séduisant moyen terme entre réalité et fantaisie : l'illusion. Il existe en cinéma tous les degrés de l'illusoire, depuis les plus simples (des vessies prises pour des lanternes). On s'est ici surtout intéressé à des constructions plus élaborées, jouant des prédispositions de l'esprit humain à se laisser entraîner dans l'irréel (par le rêve, le fantasme, l'hallucination et autres illusions matérielles), mais aussi, mettant en évidence qu'au fond, l'illusion n'est qu'une fiction qui se serait donné davantage de moyens pour convaincre son destinataire, lui souffler de faire un peu plus semblant de croire qu'il croit - et parfois, l'entraîner véritablement jusqu'au point où il ne sait plus où il en est.
L'attraction du cinéma pour la Lune s'exerce depuis la fin du XIXe siècle jusqu'à l'époque la plus récente qui voit de nombreux films prendre très au sérieux les projets d'installations de bases lunaires. La Lune dessine en effet les frontières d'un territoire cinématographique.
La Lune est affaire de regard : elle est ce point lumineux qui perce l'obscurité du ciel, cet oil capricieux qui préfigure les dispositifs de vision, au premier chef la projection, qui s'est très vite invitée dans la représentation.
La Lune est une combinaison d'espace et de temps, tous deux portés à un extrê-me : promesse d'un espace infini et d'un temps en éternel recommencement, elle est devenue le lieu d'une conquête du rêve par la réalité. Cette conquête a laissé des traces, que les films s'approprient. Un jour de l'année 1969, des hommes mar-chent sur la Lune et filment ce qu'ils voient. Ce film inouï, retransmis en direct par la télévision, hante l'Histoire tout autant que les fictions.
Si les frontières tracées par la Lune sont poreuses entre les arts, entre les consi-dérations esthétiques et les problèmes scientifiques, entre les enjeux politiques et les questions anthropologiques, le cinéma invente des figures à ces glissements et des modes de perceptions à ces figures. Les quatre parties qui composent ce livre s'intéressent chacune à un problème de cinéma, posé par les films qui représen-tent la Lune : la projection ; la non-coïncidence des durées ; la sidération visuelle ; la modernité mythologique.
Après l'année 1972, les hommes ne sont pas retournés sur la Lune qui reste un terrain d'incertitude. En cinéma, la Lune est au contraire l'espace de très prolixes explorations visuelles que les films visitent sans cesse.
Cet ouvrage s'inscrit dans la collection Les carnets, une collection - mise au point avec Bernard Plossu - qui se propose de revisiter les archives d'un photographe ou d'un collectionneur et d'en extraire des séries thématiques (des faits, des objets, des situations, des évocations...).
Au travail ! dévoile une sélection de photographies de l'impressionnante collection privée de Véronique Marit. Composée d'images glanées et chinées, cette collection est dédiée aux photographies trouvées (albums de famille, photographies anonymes, photos d'amateurs...) prises entre la fin du XIXe siècle et les années 1960.
Un texte de Philippe Marczewski introduit cette série d'images.
« Les photographies rassemblées par Véronique Marit témoignent d'une époque où travailler était au centre de tout. Le travail tenait lieu d'organisation sociale, de lieu où se faisait la communauté, où se créaient des liens d'autant plus importants que le labeur occupait la majeure partie de la vie des femmes et des hommes [...]. Les communautés nées du travail étaient aussi le lieu de l'entraide et de la solidarité, le lieu de luttes communes pour acquérir des droits. Le lieu de fêtes, de cafés, de maisons du peuple, d'amicales sportives. Le monde du travail était plein d'une vie dépassant le travail.
[...] Ces photographies témoignent de l'épopée d'un corps social, et dans leur majorité, d'une classe sociale, dure à la peine, jamais gagnante de la lutte. C'est une épopée de chaque jour, pleine de noblesse. Pleine de moments joyeux et de camaraderie, sans doute, mais dont il ne faudrait pas oublier qu'ils n'étaient que les maigres compensations de semaines harassantes et de vies très souvent écourtées. Pour reprendre les mots de Raoul Vaneigem : «De la force vive déchiquetée brutalement à la déchirure béante de la vieillesse, la vie craque de partout sous les coups du travail forcé.» Et au dos des images, comme un conseil offert par mille voix venues du passé, je suis sûr qu'on peut lire, écrits au crayon, ceux de Debord : «Ne travaillez jamais.» »
L'univers singulier d'un écrivain rencontre parfois des échos inattendus dans des films qui lui sont a priori étrangers. C'est la thèse paradoxale de ce livre, inspiré par l'oeuvre énigmatique de Raymond Roussel, admiré des surréalistes. Révélés de façon posthume, ses procédés d'écriture, basés sur la stricte permutation des lettres, favorisent curieusement un imaginaire visuel féerique et fabuleux.
Si ses livres ne connurent pas d'adaptations au cinéma, leur influence secrète et latente transparaît en revanche, à la manière d'un fil rouge, dans de nombreux films. Il suffit pour l'observer de prêter attention à l'affleurement de figures poétiques chez des cinéastes qui opèrent des courts-circuits entre les mots et les images sous les motifs de la permutation (Buñuel, Greenaway, Ruiz), du rébus (Frampton, Smith, Snow), du double (Chaudouët, Duras, Fitoussi, Rivette) ou de la métamorphose (Maddin, Ottinger, Quay, Švankmajer).
D'où l'hypothèse d'un cinéma roussellien, à la croisée de l'expérimentation plastique et de l'invention narrative, caractérisé par une certaine dissipation figurative, quasi pyrotechnique.
« Et je me réfugie, faute de mieux, dans l'espoir que j'aurai peut-être un peu d'épanouissement posthume à l'endroit de mes livres », écrivit Roussel, ingénu, en guise de consolation.
Cinéma Roussel se propose d'offrir à l'écrivain un peu d'épanouissement posthume à l'endroit de ses films virtuels.
Le piano n'est pas un objet ordinaire à l'écran. Dans les films habités de sa présence, ce meuble joue un rôle clef, qui éclaire la poétique des cinéastes. Cet essai s'attache à la cinégénie secrète de l'instrument de musique par excellence. On a cherché à identifier quelques figures majeures du piano, telles que de grands auteurs les ont façonnées. Douze haltes ponctuent ce chemin, depuis Max Ophuls et ses pianos-miroir et horloge, Jean Renoir et son piano-boîte à musique, et Jean Grémillon avec son piano-moteur. On rencontre le piano-coeur de Lubitsch, le piano-rêve que partagent Dreyer et Bunuel, le piano-radio de Borzage et le pianopensée de Sirk ; ainsi que le piano-outil d'Hitchcock et le piano-sentiment de McCarey. Enfin, on s'aventure dans les séries du piano-démon (avec Robert Wiene, Karl Freund, John Brahm, Robert Florey et Edmond T. Gréville) et du piano-porte-voix (en compagnie de Roy Rowland, Nicholas Ray, Jean-Claude Guiguet, Robert Bresson, Pier Paolo Pasolini et Jean-Luc Godard), le piano-ange de Jacques Demy demeurant à part. En prélude et postlude, on fête le piano-cinéma d'Oliveira et Grémillon, et le piano-âme d'un trio de poètes d'aujourd'hui :
Todd Haynes, Pere Portabella et Peter Sülyi. Après ce voyage, le lecteur ne considérera plus un piano dans un film du même oeil ni de la même oreille, c'est le bonheur qu'on lui souhaite.
« Confusion générale des éléments de la matière, avant la formation du Monde. Ensemble de choses sens dessus dessous, et donnant l'image de la destruction, de la ruine, du désordre. Du chaos naît la lumière. Prudents comme les serpents se présente tel un hommage aux (trans)mutations, celles des âges de la vie et du temps flou qui les entoure. Par une transition du chaos vers l'apaisement, cette série vient ancrer une fin de cycle. Une révolution complète. [...] Après avoir tourné sept fois la langue dans sa bouche, on ose parfois faire face à son propre silence. »
Cet ouvrage rassemble des études s'efforçant de repenser à nouveaux frais la question des relations entre le cinéma et les arts plastiques. Cette question, vieille comme le cinéma, comporte une multitude d'« entrées », de facettes qui sont dans un premier temps synthétisées, puis explorées à partir de cas particuliers qui permettent de dépasser des généralités.
Entre l'appel d'Aragon (son article « Du décor » en 1918) à voir les avant-gardes s'emparer du cinéma et l'appropriation de plus en plus courante dans les arts actuels des techniques *lmiques et du cinéma comme machine, spectacle, modalité temporalisée de la représentation, que s'est-il passé ?
Pour qui se trouve, comme Charlot, à claudiquer de part et d'autre d'une frontière d'ailleurs incertaine entre ces deux « champs », la recherche des proximités et des différences s'impose sans cesse à l'esprit, mettant à jour l'inégalité de statut entre les oeuvres et leurs signataires de part et d'autre, mais aussi les continuels transferts, échanges, greffes et rapports de domination réciproque. Il n'est sans doute pas exagéré, en effet, de dire que presque tous les grands artistes du XXe siècle ont été tentés (Picabia, Klein), ont pratiqué (Léger, Hains, Warhol, Serra, Nauman) ou ont côtoyé le cinéma (Picasso), y compris pour le refuser (Malévitch, Delaunay). Et que bon nombre de cinéastes ont cultivé une af*nité pictorialiste (Feuillade, Kubrick, Godard).
En même temps, l'exploration historique du contexte d'apparition du cinéma met en évidence ce qu'Eisenstein a appelé le « cinématisme » à l'oeuvre dans les arts plastiques - pour ne parler que d'eux - avant, pendant et au-delà du cinéma : une recherche de la mise en mouvement ou de la restitution du mouvement et de la durée. Un curieux chassé-croisé règle bien souvent les rapports des cinéastes et des artistes : les premiers ont voulu, dès les débuts du cinéma, légitimer leur « art » en reprenant à leur compte des valeurs esthétiques (composition de l'image, clair-obscur), au moment même où les artistes entendaient sortir de ces dispositifs esthétiques en recourant au contre-exemple du cinéma le plus brut (comique des premiers temps, vues Lumière). De nos jours, les cinéastes indépendants et expérimentaux participent pleinement aux problématiques de l'art contemporain au point d'envisager leur « entrée au musée » - être montrés dans des expositions -, et certains artistes opèrent un mouvement inverse en valorisant les attributs du cinéma industriel de masse, son imagerie et ses procédés narratifs. Les échanges et les contaminations n'ont donc pas cessé entre deux champs que l'économie continue cependant de séparer ; les textes qu'on trouvera ici réunis abordent l'un « au risque » de l'autre.
Étant entendu que tout film de fiction a sa part documentaire et tout film documentaire sa part de fiction, il reste, pour sortir le débat de la confusion qu'il suscite, à examiner les multiples modalités de cet échange. Le cinéma de Rob Rombout, qui ne s'inscrit pleinement dans aucune des deux catégories mais se situe dans l'intervalle très large qui les sépare, se prête particulièrement à cet examen. Pour ce cinéaste vivant à Bruxelles mais voyageant et travaillant sur tous les continents depuis trente ans, réaliser un film ne consiste ni à construire un univers né de son imagination ni à capter une réalité quelconque derrière laquelle il s'effacerait, mais à rassembler des fragments épars de réalité à la façon d'un pêcheur rapportant dans son filet des poissons de toutes espèces, et à les disposer à sa guise sur l'étal de son film. Chaque film de Rob Rombout est un voyage sur une distance qui peut être longue (parfois aux antipodes), au cours duquel le cinéaste multiplie les rencontres avec des gens qui racontent leur histoire. Certains expriment avec fierté le bonheur d'avoir vécu la vie qu'ils voulaient, tandis que d'autres témoignent des difficultés rencontrées à vouloir échapper aux contraintes de l'existence, qu'elles soient matérielles, sociales, raciales, affectives ou culturelles. Tous ont fini par accepter leur sort. Ces microrécits de vie qui questionnent la thématique récurrente du destin et de la liberté s'inscrivent dans un dispositif établi a priori par le cinéaste pour nouer des liens entre tous ces fragments. Il y a le film « corde à linge » qui tend un fil entre deux pôles et y accroche les récits divers de quelques voyageurs ; le film « dentelle » qui entrelace ses mailles entre plusieurs personnages qui ne se connaissent pas ; le film « étoile » dont chaque branche est associée à un point central auquel le film revient à intervalles réguliers ; le film « constellation » qui, sur un territoire parfois aussi vaste qu'un continent, dessine une figure imaginaire entre des lieux choisis arbitrairement, qui n'ont d'autres rapports entre eux que le fait de s'appeler « Amsterdam ». D'une intention artistique aussi affirmée qui intègre des fragments de réel dans des architectures savamment construites naissent des films « de style documentaire » (comme le disait Walker Evans à propos de son travail photographique) répondant toujours à une exigence artistique qui prime sur les réalités filmées autant que sur le discours que le cinéaste leur porte. Pour Rob Rombout, faire du cinéma revient toujours à faire oeuvre. Le livre adopte une structure aussi diversifiée que le cinéma de Rob Rombout. Un premier texte envisage globalement les enjeux esthétiques de l'oeuvre. Suivent ensuite les analyses approfondies d'une dizaine de films majeurs, illustrées de photogrammes et de photos de repérage et complétées par des interventions du cinéaste qui, interrogé par Guy Jungblut, détaille une multitude d'aspects de son travail en termes de production, de méthodes et de choix stylistiques. L'ouvrage est, par ailleurs, émaillé de codes QR qui donnent accès à des extraits de films.
À l'heure où les biographies filmées se multiplient et, en particulier, les biopics de peintres, il est bon de se rappeler que l'un des plus illustres d'entre eux a fait l'objet de centaines d'essais, livresques et cinématographiques. Cinq ans après la mort de Vincent Van Gogh naissait le cinéma. Documentaires et fictions ont, depuis, rivalisé de moyens pour raconter sa vie, approcher son art.
Regarder Van Gogh à travers l'objectif d'une caméra se distingue de l'observation et de l'analyse opérées par l'historien d'art, le critique ou le simple amateur. On ne s'étonnera pas de constater qu'il y a à peu près autant de Van Gogh que de cinéastes l'ayant filmé. Mais, après tout, la quarantaine d'autoportraits du peintre ne révèle-t-elle pas autant de facettes différentes de son visage ? Ainsi l'autoportrait dit au chevalet n'a-t-il pas grand-chose à voir avec celui à l'oreille bandée.
Suivre les aventures de cette vie confinant à la légende est une manière d'accompagner les fluctuations d'un discours sur le peintre et, plus généralement, sur l'art.
Plutôt que d'empiler les titres en mélangeant videos muséographiques et documents pédagogiques, j'ai jugé préférable de choisir neuf films réalisés en l'espace d'un demi-siècle, approximativement depuis le centenaire de la naissance de Van Gogh jusqu'à celui de sa mort. Ces films ont pour point commun d'être d'abord des oeuvres de cinéma. Le peintre est leur prétexte et non leur but. Ce faisant, ils se soucient d'abord d'art cinématographique avant de rendre justice - si tant est qu'il faille le faire - à leur sujet, leur « motif ».
En retour, comme un miroir tendu à la caméra, la figure vangoghienne éclaire le cinéma dans sa recherche d'authenticité et, surtout, d'autonomie. Il s'agit donc de faire oeuvre avec et par l'oeuvre d'un peintre, c'est-à-dire un confrère. Et, dans la multiplication des images, Vincent disparaît peu à peu en persévérant dans son art.