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Claire Paulhan
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Correspondance 1920-1946 ; y a-t-il quelque chose qui nous importe plus que la vérité ?
Jean-richard Bloch, Jean Paulhan
- Claire Paulhan
- 8 Janvier 2015
- 9782912222473
Jean-Richard Bloch et Jean Paulhan ont 36 ans l'un et l'autre en 1920, quand commence leur correspondance. Fondateur en 1910 de L'Effort libre, Bloch est alors sous contrat avec les éditions de la NRF, où ont paru Lévy en 1912 et ... Et Cie en 1917. De son côté, Jean Paulhan, qui a publié à compte d'auteur en 1917 Le Guerrier appliqué, est le dévoué secrétaire de Jacques Rivière, directeur de La NRF depuis 1919.
Leur échange va croissant jusqu'en 1932, année de parution du roman de Bloch, Sybilla, dédié à Paulhan, devenu rédacteur en chef de La NRF. Celui-ci, qui s'était montré « déçu » en 1925 de n'avoir pas retrouvé, dans La Nuit kurde et Sur un cargo, « le sévère, l'incorruptible Jean-Richard Bloch », tente alors de lier avec l'écrivain un complexe dialogue sur le pouvoir des mots : « Là où il y a pouvoir, il n'y a pas mots, et là où il y a mots, il n'y a pas pouvoir. » Mais Bloch est requis par ses engagement politiques - participation au premier Congrès des Écrivains soviétiques (1934), organisation du Congrès des Écrivains pour la Défense de la Culture (1935), voyage à Madrid (1936) - cependant que Paulhan, conseiller municipal Front populaire à Chatenay-Malabry, orchestre dans les pages de La NRF une vive politisation des débats...
Puis Bloch accepte de diriger avec Aragon le quotidien communiste Ce soir, dont le premier numéro sort le 1er mars 1937. Au lendemain du pacte germano-soviétique conclu en 1939 à Moscou, l'« embarras » entre Jean-Richard Bloch et Jean Paulhan est à son comble, et le sabordage de la revue Europe, que Bloch aurait eu l'intention de « reprendre », achève de distendre leur conversation. Bloch constate alors que « l'Europe, la guerre, les hommes de la politique ont emmêlé leurs fuseaux ».
Après l'offensive allemande du 10 mai 1940, ces différends paraissent « dépassés » à Jean Paulhan au profit de la seule fraternité d'armes et, bientôt, de l'entrée en Résistance. A la veille du départ de Bloch pour Moscou, Paulhan cherche une dernière fois le dialogue - qui passe toujours à ses yeux par les « questions langagières » - en lui adressant, le 22 février 1941, le début de ses Fleurs de Tarbes.
Intellectuels et hommes de revue s'il en fut jamais, Jean-Richard Bloch et Jean Paulhan, écrivains l'un et l'autre, se sont connus, estimés et liés d'une amitié qui ne pouvait être qu'ombrageuse, en raison de leurs relations respectives à la politique. Leur entente, et la possibilité même de cet échange de lettres, supposait cette différence entre eux, et une façon de pleinement l'assumer.
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Mobilisé en 1939, je prêtais un grand intérêt à ce qui se passait autour de moi. Comme rien ne me plaisait plus que d'écrire, je résolus de le faire et, pendant cinq ans tous les soirs, je notai ce que j'avais appris et entendu dire autour de moi. Cela sans faire exception des situations et des personnes, interrogeant et écoutant aussi bien le simple soldat et le paysan que l'homme notoire. Tous les témoignages pouvaient présenter de l'intérêt, sans bien entendu avoir le même poids. Les propos des écrivains surtout m'intéressaient. Ils n'étaient pas concordants ; la plupart, cependant, hostiles à l'occupant, comme étaient les miens. Malgré tout je ne croyais pas à l'efficacité d'une résistance active. Les moyens dont pouvaient disposer les Français me paraissaient dérisoires par rapport à ceux dont disposaient les Allemands. J'admirais l'esprit de sacrifice de ceux qui, au péril de leur vie, faisaient sauter des wagons ou plus simplement distribuaient des tracts, mais il me semble que, même si j'avais eu plus de courage, je n'aurais pas été tenté de les imiter. Je croyais, comme mon homonyme Albert Grenier, que la victoire obtenue par les Allemands avec des machines changerait de camp avec d'autres machines plus puissantes aux mains des Américains. » Jean Grenier eut d'abord l'idée de noter les propos des uns et des autres à l'heure de la Défaite ; au fur et à mesure, les propos recueillis dans des milieux aussi divers que l'université, La NRF et les « intellectuels », l'administration, la presse, se sont étoffés ; ses rencontres avec André Gide, Jean Giono, André Malraux, Jean Cocteau, Jean Paulhan, Pierre Drieu La Rochelle, Gabriel Marcel, André Fraigneau, Albert Camus, Paul Léautaud par exemple, se sont multipliées jusqu'à la Libération, elle-même notée dans l'urgence. Entre les lendemains de la guerre et son voyage en décembre 1945 vers Alexandrie, où il avait été nommé professeur, Jean Grenier a relu les pages de ce « livre impubliable » (Maria Van Rysselberghe), agencé par thèmes et par périodes, en a rédigé l'avertissement, tout ceci en vue d'une publication en volume, à laquelle il a finalement renoncé.
André Gide, mis au courant, en mars 1942, de la diversité des propos recueillis par son ami, confia à la « Petite Dame » : « C'est très précieux que Grenier ait noté ça. »
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Fils d'un enfant naturel de Jérôme Bonaparte, alors roi de Westphalie, Ferdinand Bac (1859-1952) fut élevé en marge de la cour du Second Empire.
Quelques années après l'effondrement du régime, il choisit de quitter l'Allemagne et sa mère pour vivre à Paris une existence solitaire, studieuse, et néanmoins bohème. Introduit dans le monde par Arsène Houssaye et le prince Napoléon, il devint un artiste fort à la mode : " je déraillai dans une profession de dessinateur de Fêtes à laquelle je n'étais nullement destiné. " Quinquagénaire, Ferdinand Bac entama une plus sérieuse carrière, celle de mémorialiste de la Vieille Europe, et publia, entre autres, des ouvrages sur l'Allemagne, romantique, ses " Souvenirs d'exil " en 1919, les trois tomes d'" Intimités de la Troisième République ", en 1935 et 1936...
Il exerça également sa grande culture à concevoir, pour ses amis, des maisons et des jardins hors du commun, comme la villa Croisset à Grasse, la villa Florentina au Cap Ferrat, Les Colombières à Menton ou La Surintendance à Compiègne. La Première Guerre mondiale ne le surprit guère : elle aggrava sa nostalgie d'un temps où l'ordre ancien régnait encore, malgré l'inquiétante " instabilité des crinolines " qu'il avait éprouvée dès l'enfance...
Peu de temps après le Traité de Versailles, il commença son " Livre-journal ", où il rassembla ses souvenirs anciens et une foule d'observations contemporaines sur son " cercle incomparable d'amis " : les milieux artistiques, littéraires, politiques et mondains de la capitale, de la Côte d'Azur, de l'Europe entière. " Le soir avant le dîner, écrit Ferdinand Bac, le 6 août 1919, je fais une longue promenade avec Maurice Pouquet qui me demande si le Bac des dessins est le même que l'écrivain et encore le même qui fait de l'architecture et des jardins.
Je lui raconte mon évolution sous une cathédrale de pins magnifiques qui appartiennent déjà au domaine de Vallières, au duc de Gramont. Je lui raconte qu'en 1902 j'ai commencé " Vieille Allemagne ", qu'en 1905 j'étais devenu tout à, fait homme de Lettres " sacré par l'Académie Française " et qu'en 1908 j'ai complètement rompu avec mon ancienne et lucrative carrière de dessinateur parce qu'à ce moment-là je me sentais un besoin d'autre chose ! J'ai sacrifié à ce penchant d'être enfin d'accord avec moi-même, avec les dons, que j'ai reçus, avec la culture que j'avais, peu à peu substituée en silence à mon savoir d'école, avec mes pensées et mon expérience, ma réserve d'observation sur les hommes et les choses, l'Histoire et le Présent.
- C'est ainsi expliquai-je à Pouquet, que je suis devenu peu à peu un être sans classification, citoyen de la Renaissance, maçon, diplomate, serrurier, un peu peintre, un peu décorateur jardinier historien, voyageur et écrivain, essayiste, et, au fond, rien qu'un homme qui marche en pensant. ". Ce volume propose l'intégralité de la première année du monumental Livre-journal inédit - de Ferdinand Bac.
Edition établie et annotée par Lawrence joseph.
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Paris fut ; écrits sur Paris, 1937-1953
Jacques Audiberti
- Claire Paulhan
- 15 Décembre 2001
- 9782912222053
Comme Le Mur du Fond (Éditions des Cahiers du cinéma, 1996) rassemblait ses critiques de cinéma et La Forteresse et la Marmaille (École des loisirs, 1996) ses textes sur la littérature et les écrivains, ce recueil thématique propose les chroniques de Jacques Audiberti sur Paris, rédigées entre 1937 et 1939 pour Le Petit Parisien, où il était journaliste, « tourneur de commissariat ». Consacrées aux quartiers insalubres promis à une hygiénique démolition, aux petits métiers improbables et aux loisirs curieux, aux animaux et marchés de la capitale, aux artisans enfin, dont il aimait la technique et le langage déjà en voie d'extinction, ces chroniques sont suivies des deux derniers textes écrits par Jacques Audiberti sur la capitale, publiés dans Quadrige en 1945 et dans La NRF en 1953. Dans la lignée, à la fois descriptive et nostalgique, de Louis-Sébastien Mercier, de Léon-Paul Fargue ou de Jean Follain, Paris fut évoque une ville qui n'existe assurément plus, mais qui n'existait déjà plus qu'à peine.
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Quand Jean Grenier - qui professa la philosophie de 1922 à 1968 - commence au lendemain de la Libération à prendre des notes dans ces Carnets, il est âgé de 46 ans : il a écrit Les Îles (1933), Essai sur l'esprit d'orthodoxie (1938) qui marqua une génération d'intellectuels divisés par le communisme, Inspirations méditerranéennes (1941) et dirige la collection « Métaphysique » aux éditions de La NRF ; sa mère est morte en avril et Albert Camus, son ancien élève d'Alger qu'il a mis sur la voie de l'écriture, vient de lui demander de rédiger des « visites d'ateliers d'artistes » pour son journal, Combat. Mais bientôt, Jean Grenier part enseigner à Alexandrie et au Caire où il rencontre Gide, Jabès, Cocteau, Hussein, Étiemble, Perros.
Il ne revient à Paris que pour assister, impuissant et douloureux, aux développements tragiques de la guerre d'Algérie. Ce qu'il rapporte alors de ses conversations quotidiennes avec Albert Camus précise les sentiments de ce dernier, muet après l'échec de sa proposition de trêve. En 1960, le prix Nobel meurt dans un accident de voiture : tout se passe dorénavant pour Jean Grenier comme s'il était amputé du plus « public » de sa pensée. Un confiant dialogue prend brutalement fin. Dès lors, ce sont les relations de Grenier avec Francine Camus, René Char, Louis Guilloux, Jean Giono, André Malraux, Manès Sperber, avec le groupe de La Nouvelle Nouvelle Revue Française, avec des artistes contemporains, ses souvenirs d'enfance également, ses définitions étonnantes de termes et de sentiments, ces « à-peu-près » notés avec humour, qui continuent d'étoffer la matière mouvante de ces Carnets, écrits jusqu'à sa mort, en mars 1971.
Né à Paris en 1898, Jean Grenier fut élevé en Bretagne, à Saint-Brieuc où il rencontra Louis Guilloux pendant la Première Guerre mondiale. Dans les années vingt, remarqué par Max Jacob et Daniel Halévy, il devint lecteur pour La NRF. Nommé professeur, il vécut à Alger de 1930 à 1938, puis en Égypte de 1945 à 1950. De retour en France, il fut titulaire de la chaire d'Esthétique et de Sciences de l'art en Sorbonne. Jean Grenier a essentiellement publié, outre les titres cités ci-dessus, Entretiens sur le bon usage de la liberté (1948), À propos de l'humain (1955), L'Existence malheureuse (1957), Les Grèves (1957), Essais sur la peinture contemporaine (1959), La Vie quotidienne (1968) et Albert Camus, souvenirs (1968).
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Jean Follain est né dans la Manche, en 1903. Vingt-deux années plus tard, il vient vivre dans la capitale, dont il connaît par coeur le plan des rues, et s'inscrit au barreau. Entre Montmartre et Montparnasse, entre le milieu de la magistrature, du journalisme et celui des poètes, des artistes, ce « piéton de Paris » se prend d'une grande amitié pour Max Jacob, André Salmon et pour ceux de la revue Sagesse. Cinq Poèmes et La Main chaude paraissent en 1933. Jean Follain se marie, l'année suivante, avec la fille du peintre Maurice Denis, et donne, en 1935, son premier livre en prose, Paris, puis Chants terrestres en 1937, L'Épicerie d'Enfance en 1938. Lauréat du prix Mallarmé, il publie pendant la guerre Canisy, des proses sur son village natal, puis Usage du temps. Et encore Exister en 1947. Quelque temps après le bombardement de la ville de son adolescence, Saint-Lô, il rédige Chef-Lieu. En 1951, il devient juge de grande instance à Charleville.
Territoires (1953), Tout instant (1957), Des heures (1960), Appareil de la terre (1964), D'après tout (1967) paraissent chez Gallimard, « alors que dans un champ / de son enfance éternelle / le poète se promène / qui ne veut rien oublier ».
Le 10 mars 1971, Jean Follain est renversé par une voiture, à Paris. Son dernier recueil, Espaces d'instants, sort en librairie quelques jours après sa mort.
« Qui veut, en dehors de son oeuvre - écrivait Henri Thomas en 1969 - se renseigner sur Jean Follain au grand comptoir des conversations de Paris, rencontre plusieurs versions du personnage, parfois inconciliables, entre lesquelles il n'est pas nécessaire de choisir. Homme d'un terroir, homme d'une enfance qui le hante, ou voyageur sans regret - liseur infatigable, de la comptine aux Pères de l'Église, ou heureux par toutes choses qui se passent du langage - homme du monde et grand causeur, homme à l'écart et taciturne : Jean Follain est tout cela, sans donner pour autant l'impression d'être particulièrement déchiré. » De 1926 à sa mort, Jean Follain a pris des notes dans ses Agendas : il n'y parle que très peu de lui - « il faut être prudent avec son soi-même ! » - mais raconte ses rencontres, ses conversations insolites ou mémorables avec Salmon, Jacob, Albert-Birot, Fargue, Cingria, Audiberti, Reverdy, Éluard, Drieu La Rochelle, Jouhandeau, Dhôtel, Thomas, Breton, Guillevic, Frénaud, Ionesco, Pieyre de Mandiargues, Arland et d'autres encore...
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Dans la première partie du Journal de Jacques Copeau (1879-1949), ce fils d'un marchand de boucles et agrafes du faubourg Saint-Denis, encore mal dégagé de son enfance, purgeant sa jeunesse solitaire, s'engage avec passion dans la vie à la recherche de ce qui lui fait défaut : un « milieu » et une « culture ». Après la mort de son père, il se dresse contre une famille stérilisée par sa « débilitante mère » et choisit de vivre, dès l'âge de vingt-trois ans, avec Agnès, une jeune Danoise dont il aura bien vite un, deux, puis trois enfants. Introduit dans le monde du théâtre par Georges de Porto-Riche, il se met à fréquenter, avec une intense curiosité et une « lucidité excessive », les foyers, les générales, les auteurs et les actrices ; il travaille alors le jour dans une galerie d'art et rédige le soir, après le spectacle, des critiques dramatiques et des pièces de théâtre.
Peu de temps après avoir lu Les Nourritures terrestres, Jacques Copeau fait, en avril 1903, la connaissance d'André Gide, son aîné de dix ans : « Nos angoisses s'accordent et nos intelligences communient », constate-t-il d'emblée.
De nombreux séjours à Cuverville, des voyages à Londres, à Jersey, en Espagne, renforcent leur «salutaire» amitié d'avant-guerre. Et Gide, en 1905, évoquant son ami qui vient de lui lire des pages de ce Journal, écrit : « Tout, en lui, gagne à être connu, expliqué, ne fût-ce que par lui-même. » La création de La Nouvelle Revue Française en 1908 avec Gide, Drouin, Schlumberger, Ruyters, Ghéon, le succès de son adaptation des Frères Karamazov en 1911, la fondation du théâtre du Vieux Colombier en 1913, achèvent de révéler la « fermeté intellectuelle » de Copeau. Les écrivains de sa génération tiennent alors pour leur futur pair cet esprit clairvoyant, sensuel, « inconstant par profusion », que l'on découvre à l'oeuvre ici. Mais Jacques Copeau est d'abord tout entier attaché à révolutionner l'art dramatique et la mise en scène, en ralliant à son combat moral et esthétique des acteurs comme Louis Jouvet, Charles Dullin, Valentine Tessier. Arrive la Grande Guerre qui casse son élan : c'est le temps de la mort de Péguy et d'Alain-Fournier, le temps de la réorganisation des valeurs et des désirs de la maturité enfin : « Je comprends à quel point je ne fais que commencer, écrit-il le 30 novembre 1915. Tout est à reprendre, à refaire. Tout entre en oeuvre. [.] Que l'amour de la vie, l'amour de l'action ne me fassent pas passer à côté de tout. »