Galilee
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Corpus, paru en 1992, s'achevait sur « l'entre-les-corps ». D'un seul bond, « moi et toi » faisait conclure de l'entre-deux à l'entre-nous sans que ce bond ait été préparé ; il a semblé nécessaire, longtemps après, de rendre compte de l'entre en tant qu'il s'étire d'un corps aux autres en même temps qu'il se tend en chacun comme sa pulsion propre, ce qui le fait corps et qui nous fait corps-à-corps.
« Moi et toi » (la conclusion de Corpus) a passé en trente ans un seuil qui rendait nécessaire de repartir de là plutôt que d'y aboutir. Moi et toi : soi et soi, comment ça se passe ? C'est de là qu'est sortie cette suite du livre.
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Désirer s'aimer clôt un cycle de réflexions consacrées à la question de l'amour humain. Il forme le troisième volume d'une trilogie dont le principe général se sera révélé après coup. De cette trilogie qui pourrait s'intituler Le Désir d'aimer, le premier volume est paru sous le titre Le Théorème du Surmâle en 2011 ; quant au deuxième volume, Le Pas gagné de l'amour, il a été publié en 2016.
Ces réflexions n'envisagent jamais l'amour comme un sentiment ou une passion, ni comme un état psychologique ou une condition d'existence, mais comme un pur événement. Un événement à part entière, dont la « positivité » intrinsèque et absolue - et qui n'est pas affirmée sans aplomb - tient à sa capacité à dépasser les antithèses courantes telles que, par exemple, l'affirmation et la négation, la passivité et l'activité, le naturel et le factice, la pulsion de vie et la pulsion de mort, le possible et l'impossible, le sens et le non-sens. En outre, dans chacun des trois ouvrages cités, un même fil conducteur coud entre elles les étapes du questionnement, à savoir le passage éventuel du désir à l'amour. C'est qu'à l'amour, qui est toujours subversion du désir, préside un désir qui n'est pas encore de l'amour.
Toutefois, ici, si le thème est resté inchangé, la perspective s'est sensiblement déplacée : le passage du désir à l'amour y est examiné au prisme de l'érotisme. À ce titre, en conclura-t-on que la réflexion - menée sous la forme d'un « entretien infini » - qui prend en vue l'acte de faire l'amour, qui le considère dans ses tenants et ses aboutissants, donne raison au mot d'André Breton selon lequel « l'étreinte de chair, tant qu'elle dure, défend toute échappée sur la misère du monde » ?
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Ce livre ne s'occupe pas de savoir comment les concepts freudiens s'appliquent à l'interprétation des oeuvres littéraires et artistiques.
Il se demande pourquoi cette interprétation occupe une place stratégique dans la démonstration de la pertinence des concepts analytiques. pour que freud fasse de l'intrigue oedipienne un principe d'intelligibilité, il faut d'abord qu'un certain å'dipe, appartenant à la réinvention romantique de l'antiquité grecque, ait produit une certaine idée de la puissance de pensée de ce qui ne pense pas et de la force de parole de ce qui se tait.
Il ne s'ensuit pas que l'inconscient freudien serait déjà préfiguré par l'inconscient esthétique. les analyses " esthétiques " de freud montrent bien plutôt une tension entre la logique des deux inconscients. ce texte tente d'indiquer les modalités et les enjeux de cette confrontation.
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Souvent je me demande, moi, pour voir, qui je suis - et qui je suis au moment oú, surpris nu, en silence, par le regard d'un animal, par exemple les yeux d'un chat, j'ai du mal, oui, du mal à surmonter une gêne.
Pourquoi ce mal ? j'ai du mal à réprimer un mouvement de pudeur. du mal à faire taire en moi une protestation contre l'indécence. contre la malséance qu'il peut y avoir à se trouver nu, le sexe exposé, à poil devant un chat qui vous regarde sans bouger, juste pour voir. malséance de tel animal nu devant l'autre animal, dès lors, on dirait une sorte d'animalséance l'expérience originale, une et incomparable de cette malséance qu'il y aurait à paraître nu en vérité, devant le regard insistant de l'animal, un regard bienveillant ou sans pitié, étonné ou reconnaissant.
Un regard de voyant, de visionnaire ou d'aveugle extra-lucide. c'est comme si j'avais honte, alors, nu devant le chat, mais aussi honte d'avoir honte. réflexion de la honte, miroir d'une honte honteuse d'elle-même, d'une honte à la fois spéculaire, injustifiable et inavouable. au centre optique d'une telle réflexion se trouverait la chose - et à mes yeux le foyer de cette expérience incomparable qu'on appelle la nudité.
Et dont on croit qu'elle est le propre de l'homme, c'est-à-dire étrangère aux animaux, nus qu'ils sont, pense-t-on alors, sans la moindre conscience de l'être. honte de quoi et nu devant qui ? pourquoi se laisser envahir de honte ? et pourquoi cette honte qui rougit d'avoir honte ? devant le chat qui me regarde nu, aurais-je honte comme une bête qui n'a plus le sens de sa nudité ? ou au contraire honte comme un homme qui garde le sens de la nudité ? qui suis-je alors ? qui est-ce que je suis ? a qui le demander sinon à l'autre ? et peut-être au chat lui-même ?.
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Une persistance ou une rémanence qu'on aurait cru impossible de l'antisémitisme oblige à reprendre à nouveaux frais l'analyse de ce dont cette disposition hideuse et morbide peut être l'effet. Il est nécessaire de creuser plus profondément dans ses origines. Celles-ci sont en effet à repérer au plus intime de notre culture européenne et pré-européenne. Elles tiennent à la conjonction conflictuelle des deux réponses à l'effacement des cultures archaïques : la réponse grecque et la réponse juive se rencontrent comme deux affirmations d'une humanité émancipée du mythe mais s'opposent comme deux façons de concevoir l'autonomie.
D'un côté l'autonomie tendanciellement infinie du logos, de l'autre l'autonomie paradoxale d'une hétéronomie répondant à un dieu caché. A première ne savait que repousser la proximité de la seconde, et donc l'exclure tout en l'engobant dans sa domination. La seconde ne pouvait que se replier dans cette exclusion au sein même de la domination.
Comment de ces prémices intrinsèquement contradictoires a pu s'engendrer l'histoire si longue et si terrible de la haine du Juif masquant une haine de soi ? On essaie de rendre possible une réponse.
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on accusait hier l'esthétique de dissimuler les jeux culturels de la distinction sociale.
on voudrait aujourd'hui délivrer les pratiques artistiques de son discours parasite. mais l'esthétique n'est pas un discours. c'est un régime historique d'identification de l'art. ce régime est paradoxal, car il ne fonde l'autonomie de l'art qu'au prix de supprimer les frontières séparant ses pratiques et ses objets de ceux de la vie ordinaire et de faire du libre jeu esthétique la promesse d'une révolution nouvelle.
l'esthétique n'est pas politique par accident mais par essence. mais elle l'est dans la tension irrésolue entre deux politiques opposées : transformer les formes de l'art en formes de la vie collective, préserver de toute compromission militante ou marchande l'autonomie qui en fait une promesse d'émancipation. cette tension constitutive explique les paradoxes et les transformations de l'art critique.
elle permet aussi de comprendre comment les appels à libérer l'art de l'esthétique conduisent aujourd'hui à le noyer, avec la politique, dans l'indistinction éthique.
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Du Torse du Belvédère analysé par Winckelmann au décor des métayers de l'Alabama décrit par James Agee, en passant par une visite de Hegel au musée, une conférence d'Emerson à Boston, une soirée de Mallarmé aux Folies-Bergère, une exposition à Paris ou New York, une mise en scène à Moscou ou la construction d'une usine à Berlin, Jacques Rancière examine une quinzaine d'événements ou de moments, célèbres ou obscurs, où l'on se demande ce qui fait l'art et ce qu'il fait.
À travers ces épisodes on voit un régime de perception et d'interprétation de l'art se constituer et se transformer en effaçant les spécificités des arts et les frontières qui les séparaient de l'expérience ordinaire. On apprend comment une statue mutilée peut devenir une oeuvre parfaite, une image d'enfants pouilleux une représentation de l'idéal, une culbute de clowns l'envol dans le ciel poétique, un meuble un temple, un escalier un personnage, une salopette rapiécée un habit de prince, les circonvolutions d'un voile une cosmogonie, et un montage accéléré de gestes la réalité sensible du communisme : une histoire de la modernité artistique bien éloignée du dogme moderniste.
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Pardonner ; l'impardonnable et l'imprescriptible
Jacques Derrida
- Galilee
- 20 Septembre 2012
- 9782718608693
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Le monde est vécu, la réalité, ce que nous éprouvons effectivement. Les structures affectives épousent les rythmes sociaux. A l'opposition du travail et du repos qui scande les jours de la semaine s'est ajoutée, longtemps, celle du lundi à tous les autres. Jour faux, il mêlait le labeur et le loisir. On ne savait quelle attitude adopter et, chaque semaine, ça recommençait.
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Ce pays est pareil à un volcan où bouillonnerait le langage.
On y parle de tout ce qui risque de nous conduire à l'échec, et plus que jamais, des Arabes. Mais il existe un autre danger, bien plus inquiétant que la nation arabe et qui est une conséquence nécessaire de l'entreprise sioniste : qu'en est-il de "l'actualisation" de la langue hébraïque ? Cette langue sacrée dont on nourrit nos enfants ne constitue-t-elle pas un abîme qui ne manquera pas de s'ouvrir un jour ? [...
] Quant à nous, nous vivons à l'intérieur de notre langue, pareils, pour la plupart d'entre nous, à des aveugles qui marchent au-dessus d'un abîme. Mais lorsque la vue nous sera rendue, à nous ou à nos descendants, ne tomberons-nous pas au fond de cet abîme ? [...] Un jour viendra où la langue se retournera contre ceux qui la parlent. [...] Ce jour-là, aurons-nous une jeunesse capable de faire face à la révolte d'une langue sacrée? [...] Lettre de Gershom Scholem à Franz Rosenzweig,1926.
Cette lettre, cette "Confession au sujet de notre langue", "n'a pas de caractère testamentaire bien qu'elle ait été retrouvée après la mort de Scholem, dans ses papiers, en 1985. Néanmoins, la voici qui nous arrive, elle nous revient et nous parle après la mort de son signataire; et dès lors quelque chose en elle résonne comme la voix d'un fantôme. Ce qui donne une sorte de profondeur à cette résonance, c'est encore autre chose :
Cette voix de revenant qui met en garde, prévient, annonce le pire, le retour ou le renversement, la vengeance et la catastrophe, le ressentiment, la représaille, le châtiment, la voici qui ressurgit à un moment de l'histoire d'Israël qui rend plus sensible que jamais à cette imminence de l'apocalypse.
Cette lettre a été écrite bien avant la naissance de l'Etat d'Israël, en décembre 1926, mais ce qui fait son thème, à savoir la sécularisation de la langue, était déjà entrepris de façon systématique depuis le début du siècle en Palestine.
On a parfois l'impression qu'un revenant nous annonce le terrifiant retour d'un fantôme.»
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« Ce livre raconte de manière très personnelle ce qu'a été ma rencontre avec Lacan, de même que ce dont je me souviens de mon analyse avec lui. A cet égard, ce livre apporte un enseignement clinique sur la pratique si originale de Lacan, sur son style et sur ses résultats. En même temps ce livre raconte les diverses péripéties de l'École freudienne de Paris jusqu'à sa dissolution. De ce point de vue ces pages comportent plusieurs informations tout à fait inédites sur ce qui s'est passé. Et qu'aucun(e) historien(ne) n'a jamais dévoilé.
Enfin, avec le recul de maintenant quarante ans j'ai voulu évaluer les apports de la théorie lacanienne, de même que quelques avancées problématiques ».
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Libre parole rassemble trois essais complémentaires, de style et de circonstance différents : la Conférence Hrant Dink sur la démocratie et la liberté d'expression par temps de violence, donnée en public à Istanbul en janvier 2018, les Thèses élaborées en 2015 sur « Liberté d'expression et blasphème », pour intervenir dans la discussion qu'ont relancé les assassinats de journalistes impliqués dans la publication des « caricatures de Mahomet » par les membres de Daesh, enfin le séminaire donné en 2013 et rédigé l'année suivante sur les parrèsia(s) de Michel Foucault, où se trouve déployée à partir de l'exemple grec sa conception du « courage de la vérité ».
Leur objectif commun est de problématiser les conditions et la fonction de la liberté d'expression en tant que « droit aux droits », fondamental dans une période de régression des formes démocratiques et du politique lui-même, facilitée par les effets sociaux désagrégateurs de la mondialisation capitaliste, et surdéterminée par les effets de terreur et de contre-terreur que suscite une situation de guerre endémique à laquelle aucune région du monde ni aucun pays n'échappe entièrement désormais. Il est aussi de montrer que, si la liberté d'expression institutionnellement garantie, et la « libre parole » qui en forme la condition et lui confère sa vitalité du côté des sujets, constituent indiscutablement un droit subjectif, donc une « propriété » inaliénable des individus et des groupes dont l'autonomie est (théoriquement) reconnue en démocratie, il faut s'élever à la conception d'un bien public de la communication et de l'expression si l'on veut en généraliser l'exercice, en prévenir les usages discriminatoires, et lui conférer par là-même toute sa normativité politique.
Les hypothèses qui sont ainsi combinées entre elles constituent par là-même un hommage aux héros contemporains de la liberté de parole comme responsabilité du citoyen, qui en illustrent la signification et en ont suggéré l'interprétation.
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Par quelque lieu qu'on s'y engage, s'il y a bien « quelque chose » qui insiste dans la pensée de Jean-Luc Nancy - qui en constitue le coeur, irriguant et inquiétant tout le reste de son corpus -, c'est assurément la question de la communauté - sous les divers noms qu'elle peut prendre : « partage », « nous », « comparution », « Mitsein» ou plutôt « Mitdasein», « communication » « être singulier pluriel », « être-en-commun », « avec », « coexistence », « coexposition », « monde », « liberté », « finitude », « espacement originaire » de l'existence, « écotechnie » ou « techné des corps », « toucher », etc.
La question de la communauté implique ou ouvre nécessairement celle du sens, étant entendu que la communauté est immédiatement enveloppée dans celle du sens, ou encore plus précisément qu'elle est immédiatement celle du sens, non pas d'un sens, mais du sens - pour autant qu'« il n'y a de sens, comme le dit Bataille, qu'à plusieurs », ce « pluriel » devant d'abord s'entendre chez Nancy comme l'avoir-lieu ou l'espacement même de l'« avec ».
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"A supposer que nous disposions, dans notre tradition dite occidentale (juive, grecque, romaine, chrétienne, islamiquè), d'un concept unifié, stabilisé, donc fiable du mensonge, il ne suffirait pas de lui reconnaître une historicité intrinsèquement théorique, à savoir ce qui le distinguerait d'autres concepts dans d'autres histoires et d'autres cultures.
Il faudrait aussi examiner l'hypothèse d'une historicité pratique, sociale, politique, juridique, technique qui l'aurait transformé, voire marqué de ruptures à l'intérieur de notre tradition. C'est à cette dernière hypothèse que je voudrais accorder ici, provisoirement, quelque privilège. Mais pourra-t-on jamais distinguer entre ces trois choses, à savoir 1) une histoire (Historie) du concept de mensonge, 2) une histoire (Geschichte) du mensonge, faite de tous les événements qui sont arrivés au mensonge ou par le mensonge, et, d'autre part, enfin, 3) une histoire vraie qui ordonne le récit (Historie, historia rerum gestarum) de ces mensonges ou du mensonge en général ? Comment dissocier ou alterner ces trois tâches ?".
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Séminaire la peine de mort
Jacques Derrida
- Galilee
- La Philosophie En Effet
- 25 Octobre 2012
- 9782718608761
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La katharsis est dans la forme de l'Aufhebung (l'épuration dans la forme de la relève) : aufheben, en tout cas, " traduira " kathairein.
Mais cette traduction, où se jouera tout l'avenir de la philosophie, ne sera pas seulement possible du fait que Rousseau aura établi, sans la formaliser comme telle, la logique dialectique elle-même comme la logique du rapport entre la " nature " et son (ou ses) autre (s). (Lui-même, comme Diderot un peu plus tard, ne parlait que de " paradoxe " et ne fondait son discours le plus exigeant que sur la figure de l'oxymore.) Il aura encore fallu que Rousseau l'établît sur l'exemple de la tragédie attique ; et fît de la Grèce une exception historiale. Tel est ce qui explique que l'épuration ici en jeu soit tout d'abord l'épuration de la Grèce elle-même. Une épuration au demeurant bien plus audacieuse que celle dont les Allemands créditeront trop facilement son contemporain Winckelmann, ne serait-ce que parce qu'il s'agit d'une véritable épuration, ne reculant pas devant l'horreur ou la démence, mais la regardant en face, ne s'en effrayant pas, la maintenant, etc.
L'épuration de la Grèce consiste dans la négation de sa négativité. Elle se condense et vient au jour dans la formule : le théâtre des Grecs n'était pas " du théâtre ", cette formule que Heidegger lui-même répètera de façon somnambulique jusque dans les années 1930, en imaginant qu'elle provient de Hegel.
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La proximité du tableau Tome 1 ; je ne vois que ce que je regarde
Paul Audi
- Galilee
- Debats
- 18 Février 2021
- 9782718610061
Si elle n'était qu'une affaire d'image, de signes ou de représentation, si elle n'avait pas intrinsèquement partie liée avec la liberté humaine, avec la libération même de cette liberté, sans doute la peinture n'aurait-elle pas pris l'importance qu'elle possède, depuis une certaine date, aux yeux de l'humanité.
Cette date est celle de l'invention du tableau, qui donne à l'acte de peindre toute sa modernité.
Mais de quelle liberté s'agit-il ?
Voici la réponse qui est exposée et discutée ici : la liberté qui se libère devant le tableau est celle du regard - un regard qui n'est pas là pour voir mais pour garder et sauvegarder le miraculeux de la présence. Un regard que le tableau a surtout la tâche de faire naître dans tous les yeux qui s'efforceraient de lui faire face.
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Amitiés de Bernard Stiegler : douze contributions
Collectif, Jean-Luc Nancy
- Galilee
- La Philosophie En Effet
- 29 Avril 2021
- 9782718610160
La mort de Bernard Stiegler nous a frappés parce qu'elle était complétement imprévue. Mais c'est le contraire qui a lieu : par son imprévisibilité, sa mort ouvre une remobilisation, au sens où il doit s'agir de « produire à nouveau du mouvement ». Loin de s'atomiser dans la mort, Bernard nous y appelle, nous exhortant à comprendre et à éprouver qu'il est temps d'ex-ister hors d'un humanisme de l'homme supposé accompli et égal à lui-même C'est ainsi qu'est né ce petit livre : nous voici onze réunis par l'amitié pour Bernard, c'est-à-dire aussi l'amitié de Bernard pour chacune et chacun de nous. Son don pour l'amitié et de l'amitié n'était une qualité personnelle que parce qu'il était aussi en lui, à travers lui, un don de la pensée, c'est-à-dire de l'expérience de l'illimité.
Aussi sommes-nous réunis ici de manière tout empirique, par des hasards en partie indépendants de nos rapports respectifs à Bernard Stiegler. Nous formons un « nous » par accident selon sa formule pour dire comment il était devenu philosophe. Le seul motif initial a été de lui consacrer un témoignage dans la maison d'édition et dans l'une des collections - « la Philosophie en effet » - où avait commencé la publication de ses oeuvres (et en particulier de La Technique et le Temps). Cet ouvrage est donc aléatoire au sens exact et non « pseudo-aléatoire [car] provenant d'un calcul numérique » Et dans son aléa il espère être contributif comme il aimait à dire.
Jean-Luc Nancy.
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« Peut-on commettre un parjure «sans y penser» ? Par distraction ? Non par transgression active et délibérée, mais par oubli ? Ou parce que ce n'est pas le moment d'y penser ? On se demande si on peut trouver là une excuse, une circonstance atténuante. Et si on peut juger cela pardonnable, de «ne pas y penser» - d'oublier de penser à tout, à toutes les présuppositions et implications de ce qu'on fait ou de ce qu'on dit. Si penser ne peut aller sans risque d'oubli de soi, si oublier de penser, si oublier d'y penser est une faute, si telle interruption, telle intermittence est une faillite, alors qu'appelle-t-on penser ? »
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Etude consacrée à l'ouvrage de M. Blanchot intitulé La communauté inavouable. A travers une réflexion sur le communautarisme et le communisme, Jean-Luc Nancy éclaire la préoccupation de l'époque moderne quant au caractère commun des existences humaines.
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N'e^tre pas reconnu dans ses droits, faire l'objet d'un de´ni de justice, e^tre victime d'une injustice, demander re´paration pour un tort subi : y a-t-il une seule personne, depuis que le monde existe, qui n'ait pas connu, directement ou indirectement, ce genre d'e´preuve ? Or ces e´preuves, si ine´vitables soient-elles, n'ont-elles pas parfois pour conse´quence de faire perdre la te^te ? N'y a-t-il pas des circonstances ou` re´clamer justice fait basculer les hommes dans la violence, voire dans la de´raison ou la folie ? Cette folie est-elle dicte´e par le besoin de se venger ? Ou ne tient-elle pas pluto^t au de´sir de voir le droit existant s'appliquer sans re´serve ni de´lai ? Il arrive en tout cas qu'au nom me^me de cette justice dont on ne laisse pas d'exiger le respect, l'on se mette a` oeuvrer contre elle, a` franchir les limites de la loi, a` se rendre coupable d'un crime. Immense est alors le paradoxe qui veut que l'on s'alie`ne le droit dont on a la chance de jouir de´ja` et que l'on re´ve`re pour la protection qu'il assure. Un paradoxe qui apparai^t plus souvent qu'on ne croit. Et qui commande aussi que l'on se pose au moins cette question : la folie du re´clamer-justice, quand elle a lieu, est-elle due au fait que cette re´clamation s'e´le`ve alors me^me que l'ide´e que l'on se fait ge´ne´ralement de ce qui est juste, de ce qui devrait e^tre juste, n'est jamais tout a` fait claire ? Ou ne survient-elle pas pluto^t parce que l'exigence de justice qui gi^t au fond de nous est, par sa nature me^me, infinie ?
Cet essai a e´te´ conc¸u dans le contexte social et politique de la France en cette fin d'anne´e 2018 qui a vu un de´chai^nement de violence faire escorte a` une revendication de justice sociale des plus originales comme des plus le´gitimes. A` sa fac¸on, il tente de mettre en perspective le point de jonction du de´sir partage´ de justice et de la violence publique, tel qu'il s'est manifeste´ au cours de cette pe´riode. Il aborde la question du de´sir.