Liber
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Saisie délicate du sens de l'instant présent présidant à un geste inattendu, le tact pratique l'art du détour ou du rebond là où la voie droite et directe échouerait vraisemblablement; il s'apparente au flair, à la retenue et, bien qu'il implique une certaine rapidité, s'oppose à la brusquerie obnubilée par son objectif et négligeant toute interrogation sur les moyens à déployer pour l'atteindre. Toute délicatesse ne relève pourtant pas du tact. Il arrive en effet qu'on nomme ainsi une forme de fragilité, d'incapacité à supporter telle ou telle action, remarque, situation. Le tact se rapproche davantage d'une intuition de ce qu'il convient de dire ou de faire au moment opportun, au moment voulu. «Intuition juste» comme l'eustokhia dont parle Aristote, comme le «flair» ou la «quasi divine sûreté de l'âme» dont parle Platon à l'aide d'un mot grec de la même famille (eustokhos). Entre sagacité et vivacité d'esprit, il désigne une certaine «acuité de l'âme» qui fait choisir, en situation, l'expédient, la formule ou le geste opportuns bien que discrets et manifeste une faculté d'adéquation (qui n'est pas adaptation) à la situation, qu'il épouse plutôt qu'il ne s'y confronte, à laquelle il ne fait pas face comme à quelque chose qui s'opposerait à lui. En termes temporels, cette perspicacité renvoie à une intelligence de l'immédiat qui est celle de l'opinion droite telle que la décrit Socrate à la fin du Ménon ; elle est saisie du moment opportun, sens de l'à- propos, subtile appréhension de ce que les philosophes grecs appelaient le kaïros. Pour ces raisons, le tact relève davantage, à l'instar d'un savoir-faire, des vertus pratiques que des vertus intellectuelles, du moins en apparence.
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Ce court essai philosophique aborde la question de la mémoire à partir de l'expérience fréquente et récurrente des « trous de mémoire ». Il commence par analyser l'expression (« trou de mémoire ») qui suggère une trame uniforme, continue, percée cependant de « jours », de dépressions, modelée en tout cas par ces accidents, et s'intéresse également aux différentes métaphores appliquées à la mémoire (celle du contenant, de l'élément aquatique, de l'écriture, etc.). Le livre s'interroge donc sur ce que l'on pourrait appeler le relief de la mémoire, chaque chapitre abordant l'un des aspects (plaine, adret et ubac, feuilletage et foliation, rifts et fractures, etc.) de cette géographie mnésique, en prenant appui sur de nombreux auteurs, parmi lesquels Levinas, Sartre, Thoreau, mais aussi Descartes, Husserl, Ravaisson, Schelling, Kant, Benjamin ou Platon, mais aussi quelques épisodes bibliques accompagnés de leur relecture talmudique.
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Qu'est-ce que l'hospitalité ? recevoir l'étranger à la communauté
Joan Stavo-Debauge
- Liber
- 10 Janvier 2018
- 9782895786061
L'hospitalité est une qualité qui concerne la totalité des domaines de notre existence, privée comme publique, et se dit aussi bien de nos rapports aux personnes que de nos rapports aux choses, aux événements, aux environnements et aux situations : hospitalité que l'on attend d'espaces publics urbains accessibles ; hospitalité de la communauté politique, que l'on juge sévèrement lorsqu'elle se raidit ; hospitalité du marché du travail que les discriminations mettent à mal... Cet ouvrage s'attache aux mouvements de l'étranger qui vient à la communauté, mettant en question l'hospitalité de cette dernière et interrogeant la façon dont l'appartenance s'y éprouve. L'étranger ne sera pas ici figuré de la manière usuelle, sous les traits de l'« immigré » ou du « migrant ». Ce mouvement ne concerne pas uniquement l'immigré, loin s'en faut. En faisant dialoguer philosophie et sciences sociales, « Qu'est-ce que l'hospitalité ? » voudrait contribuer à l'élaboration d'une sociologie réaliste de l'étranger, afin de mieux penser les tensions de l'hospitalité et de l'appartenance, dont la composition concerne toute communauté, à quelque échelle que ce soit.
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Ce livre s'inscrit dans un projet d'anthropologie sensorielle de l'intime. On y montre comment l'expérience du vertige dévoile une part cachée de notre écologie corporelle : plonger dans son corps, lorsque le vertige nous prend, traduit moins un désir de disparaître en s'évanouissant qu'une sensibilité «émersant» en nous. En retournant ainsi la peau, le vertige révèle une cartographie des cavernes intérieures. Se donner le vertige en y étant contraint ou de manière volontaire est une expérience enivrante. Le déséquilibre du cerveau que nous éprouvons dans le vide, dans l'isolement sensoriel, dans les effets internes des machines est tel que nous avons alors du mal à distinguer ce qui se produit en nous de ce qui provient du monde, notre vue se voile, nos sensations s'avivent et notre empathie s'active inconsciemment. Accepter son vertige, c'est consentir à communiquer avec son cerveau dans une relation plus directe entre corps et monde. La profondeur du corps est le continent noir qu'il reste à explorer par des enquêtes en première personne et des entretiens qualitatifs dont on trouvera ici d'éloquents exemples.
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Suicide et politique ; la révolte est-elle honorable ?
Lawrence Olivier
- Liber
- 29 Mai 2015
- 9782895784555
« Il n'y a qu'un problème philosophique vraiment sérieux, c'est le suicide », disait Albert Camus. Oui, mais il existe mille façons de parler du suicide et autant de se suicider. La mort volontaire n'est pas ce qu'on pense généralement. Elle ne se réduit pas à un acte choisi, à un événement précis. À preuve : Charles Bukowski. Son existence s'apparente à un suicide lent qui s'accomplit chaque jour. Ce qu'on voit chez lui d'une manière évidente, c'est une échappatoire à l'existence : jeu, alcool, sexe, fainéantise, indifférence même à toute chose. Si l'existence n'est pas toujours facile, souvent absurde, Bukowski plus que Camus l'a montré. Mais on persiste à donner raison à celui-ci et non au premier. On continue de prétendre qu'il faut non pas abandonner, mais se révolter: là serait notre seule condition. La philosophie est-elle bien cette révolte dont parle le philosophe français ? Menée dans une perspective radicale cette réflexion sur notre rapport à la mort, à la haine et à l'existence répond à cette question. L'auteur développe ici deux versants d'une même interrogation sur le sens de la vie et de la liberté (politique et individuelle) à travers la révolte camusienne et l'indignité bukowskienne. Camus contre Bukowski ? La philosophie contre la littérature ? Cela n'est pas aussi manichéen mais les deux auteurs, ici mis face à face, montrent deux voies divergentes, deux manières de se positionner radicalement face à l'existence et face à la politique.
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éthique de l'accompagnement : une approche existentielle
Jacques Quintin
- Liber
- 6 Mai 2021
- 9782895787327
La maladie, quelle qu'elle soit, touche à la condition humaine et aux images que l'on se fait de soi, des autres et de la vie. Elle suscite des questions qui trouvent peu de réponses et qui, par conséquent, n'ont pas de fin. Contrairement à ce que l'on pense, les personnes malades sont souvent très ouvertes aux interrogations existentielles. Ce sont souvent les soignants qui n'osent pas s'aventurer sur ce terrain par manque de confiance, se reposant sur les comités d'éthique. Pourtant ce sont les patients et leurs proches qui réfléchissent, délibèrent et décident. L'être humain décide, dans de tels contextes de soins, de vie et de mort, selon ce qui a un sens pour lui. Dans ce cadre, le rôle du soignant n'est pas celui de l'expert en questions existentielles, mais celui d'un accompagnateur de ceux qui doivent penser par eux-mêmes selon leurs propres expériences, leurs intuitions, leurs doutes. Il retrouve ainsi avec eux un dialogue que l'humanité ne cesse d'avoir avec elle-même.
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« Alors que la mode est au plan, à l'univers bidimensionnel des grandes surfaces, les hiérarchies qui suivent se veulent un rappel au volume, à l'épaisseur de la vie. Elles développent la troisième dimension, la hauteur, qui ne fait son apparition dans le monde qu'à travers le désir et le jugement de l'être humain. Presque toutes ces hiérarchies traduisent des jugements de valeur. Parmi les objections qu'on voudra leur faire ne pourra donc figurer celle d'être fausses. Il en est une cependant qu'on ne manquera d'élever contre elles : celle de ne représenter que la perspective singulière d'un homme, d'être trop personnelles pour valoir pour tous. Je ne demande pas mieux. Cela dit, établir ses propres hiérarchies n'est pas la même chose que réciter sa profession de foi. Il faut pouvoir dire non pas «voici les croyances, les principes, la philosophie qui forment depuis toujours le sillon de ma vie», mais plutôt «voici comment je vois les choses aujourd'hui, à partir du chantier, de l'expérience toujours ouverte de mon existence». À ceux qui n'ont jamais douté, ni jamais vécu ainsi à l'aventure, puisse ce très modeste recueil servir de provocation.» L. G.
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Philosophies occidentales et sagesses orientales ; une approche amoureuse
Jacques Senécal
- Liber
- 10 Janvier 2018
- 9782895786184
Est philosophe celui qui, se sachant en route, veut savoir où il va. Au cours de l'histoire, les réponses proposées à cette interrogation sont multiples. Elles sont en même temps traversées par des constantes et constituées en familles relativement cohérentes et durables. Or on constate, à l'examen des diverses doctrines sur les questions humaines fondamentales, des différences majeures entre celles transmises en Occident et celles entretenues en Orient. En quoi consistent ces divergences, mais aussi les points de rencontre ? Pourquoi dit-on « philosophies » occidentales mais « sagesses » orientales (hindouisme, taoïsme, bouddhisme, confucianisme) ? Cet essai a pour objectif d'approfondir cette distinction. À cette fin, il se laisse guider par dix notions de la pensée occidentale que l'on compare dès lors à l'usage qui en est fait dans l'autre tradition : la substance, la connaissance, l'essence, la raison, le dualisme, le moi, la liberté, le temps, le bonheur, le salut ; dix chantiers ouverts, dix chapitres d'une grammaire de base de civilisation. Philosophie ou sagesse ?
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Etat-nation, tyrannie et droits humains ; archéologie de l'ordre politique
Heinz Weinmann
- Liber
- 12 Février 2018
- 9782895785941
Ce livre cherche à dégager les fondations sur lesquelles les piliers centraux des institutions politiques occidentales ont été établis : État-nation, loi, souveraineté, droits de l'homme, etc. Il cerne la nature des rapports entre « État » et « nation » à travers les relations tourmentées de ce que deviendront la « France » et l'« Allemagne » issues du règne de Charlemagne, « père de l'Europe ». Ces deux pays illustrent respectivement de façon paradigmatique l'État souverain unitaire et l'État évanescent d'un Saint-Empire mourant en 1806. Nietzsche avait raison de penser que la « tyrannie » est le régime politique le plus ancien. Les analyses spectrales de Platon ont montré que le « tyran » sommeille en chacun de nous, prêt à se « projeter » sur la scène politique. Nous sommes ainsi renvoyés à une anthropo-politique où les droits humains font partie de l'anthropogenèse qui pose des garde-fous pour empêcher l'humain de régresser à sa première nature de brute tyrannique. Ces garde-fous pour combattre la tyrannie prennent des « visages » différents selon les époques : la « justice » dans l'Antiquité classique, les « droits » à l'époque de l'« État souverain ».
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De la présence pure ; la plénitude ontologique du vide
André Kopacz
- Liber
- 11 Avril 2018
- 9782895786344
La formule « plénitude ontologique du vide » signifie que le vide n'est pas un néant, un rien ou une absence définitive mais, au contraire, l'affirmation en son autosuffisance de la présence à l'état pur. Le vide est plein de la présence pure, mieux il s'identifie à elle. De l'atomisme antique à la révolution scientifique en passant par la Renaissance, de Démocrite à Newton, d'Aristote à Descartes en tant que ses plus éminents adversaires, le vide n'a cessé de hanter tant le champ de la métaphysique que celui de la science, celui de l'expérience comme celui de l'imaginaire. Après avoir tenté de l'expulser de la physique au moyen de la notion d'éther, la cosmologie contemporaine redécouvre le rôle essentiel du vide dans le devenir et peut-être l'origine de l'univers. Aujourd'hui, c'est au tour de la métaphysique de soupeser à nouveaux frais le poids du vide dans le cadre de la problématique qui lui est propre. Après un siècle de dépassement, de déconstruction et autre célébration de la fin de la métaphysique, l'intention est de démontrer ici que, loin d'être oublieuse de la question de l'être, elle a pensé celle-ci avec une portée et une acuité sans égales.
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Les ravissements perdus ; l'amour et le romantisme
Mathieu Burelle
- Liber
- 12 Janvier 2021
- 9782895787167
Le philosophe américain Allan Bloom disait des gens de notre époque qu´ils étaient des « romantiques désenchantés ». Certes, nous serions encore attachés aux idéaux du romantisme (amour inconditionnel qui triomphe de tous les obstacles, passion qui se mue en union durable, don de soi jusqu´au sacrifice.), mais nous aurions aussi de plus en plus de mal à croire à ces idéaux. Le rapport ambivalent entre nos sentiments et l´imaginaire amoureux dont nous avons hérité invite à la réflexion. Qu´est-ce que l´amour ? Quelles sont ses sources et ses composantes essentielles ? Que pouvons-nous en espérer ? Ces questions, l´auteur a voulu y réfléchir, avec pour principaux moyens les outils du philosophe et le soutien de la littérature (Stendhal et Austen, entre autres). Il démontre, chemin faisant, que le romantisme nous offre encore, malgré tout, certains des secrets du ravissement amoureux, que nous pouvons y puiser ce qui nous convient aujourd´hui pour, peut-être, ré-enchanter nos amours.
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L'étendue du trouble : créations contemporaines
Alain Mons
- Liber
- L'imaginaire Et Le Contemporain
- 6 Avril 2023
- 9782895784531
Le trouble est tour à tour et tout à la fois mélange, désordre, émotion, déstabilisation, perturbation. La création artistique en présente l'expression paroxystique à travers les intensités atmosphériques, les images détournées, les multimédias, les scénographies débordées, les installations déstabilisantes, les corps en mouvement. Certains artistes entrent en résonance forte avec des affects et des percepts qui façonnent notre vie sur les potentialités de l'instable, celles des transmorphoses, des apparitions et des disparitions incessantes. Ils proposent ainsi à notre acuité une véritable anthropoétique du monde.
Ce livre-opéra, à plusieurs régimes d'écriture, est une approche sensible et pensive de l'expérience du trouble en divers aspects. Prenant appui sur des oeuvres qui font vaciller le réel, de l'installation à la littérature, en passant par la chorégraphie, la photo, la vidéo et le cinéma, il dresse une affectologie du contemporain, autrement dit une spéléologie des genres d'existence engendrés par l'invention de formes singulières de notre culture. -
Si le rêve n'est pas le propre de l'espèce humaine, l'homme est bien le seul à pouvoir le raconter et à n'avoir de cesse de l'interpréter. Et, au cours de l'histoire, il ne s'en est pas privé. Ainsi depuis toujours il a voulu inventorier les symboles des rêves, il s'est demandé s'il y avait une différence entre rêves du soir et rêves du matin, si c'était Dieu ou le diable qui lui parlait la nuit, si c'est ainsi que le destin se laissait deviner. Des plus anciens témoignages en matière de rêve jusqu'à la théorie psychanalytique contemporaine, en passant par la littérature et par les croyances des sociétés archaïques et celles des textes sacrés des grands monothéismes, cet ouvrage est à la fois un passionnant voyage à travers les cultures et un rappel que, dans l'essentielle intimité qui est la sienne, le « rêve est une rencontre avec nous-mêmes».
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Je me propose de réfléchir ici sur une éthique pour notre temps, un temps où l'on reconnaît à chacun de nous la liberté de trouver sa propre voie, ses propres sources d'épanouissement, de choisir la forme d'existence qui lui convient. Il importe, m'a-t-il semblé, de déterminer et de s'approprier dès lors une éthique véritablement compatible avec des existences faites sur mesure, une éthique à laquelle chacun, malgré sa singularité, peut s'identifier.
Où est le droit chemin quand tant de parcours différents sont possibles ? Quels jugements moraux porter sur ses semblables quand ils se comportent de manière si dissemblable ? Quelle éthique convient-il de se donner pour vivre de manière constructive dans un monde en constante évolution sociale, technologique et scientifique ? Comment surmonter la crise des valeurs que plusieurs considèrent comme caractéristique de notre époque ? La réponse réside dans ce que j'appellerai une éthique de la coexistence.
L'idée centrale en est la suivante : ce qui compte moralement, ce n'est pas la manière dont on existe (individuellement), mais la manière dont on coexiste. A mon sens, une éthique nous parlera d'autant plus aujourd'hui qu'elle ambitionnera d'en dire le moins sur ce que c'est que d'être homme ou femme, qu'elle spéculera le moins possible au niveau métaphysique, pour porter toute son attention sur la relation entre les humains et sur leur diversité.
C'est à ce prix qu'il est possible de donner véritablement un sens concret à la liberté individuelle et au principe d'égalité sans rien enlever à la solidarité humaine.
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L'exil et l'errance ; le travail de la pensée entre enracinement et cosmopolitisme
François Charbonneau
- Liber
- 30 Avril 2016
- 9782895785477
La naissance de la philosophie s'accompagne d'un refus énigmatique, celui de l'exil. Persécuté par Athènes, Socrate choisira de se donner la mort plutôt que de vivre les dernières années de sa vie à errer hors de ses murs. Par ce refus qui résonne par-delà les siècles jusqu'à nous, Socrate nous oblige à réfléchir à ce lien intime entre l'individu et sa communauté d'origine. Dans l'histoire de la vie de l'esprit, tous ne feront pas le même choix. Plusieurs, écrivains, poètes, philosophes, préféreront la vie ailleurs à la persécution ou à la mort certaine. Comment l'exil?ou les longues périodes d'errance ont-ils influencé ceux qui en ont?fait l'expérience ? Leur témoignage nous permet-il de penser les défis particuliers de notre époque ? De manière plus précise, est-ce que la pensée des auteurs qui ont vécu l'exil est de nature à nous inciter à célébrer davantage les vertus de l'enracinement ou au contraire nous convie-t-elle à souhaiter qu'advienne encore plus rapidement un monde cosmopolite ? À l'heure où les enjeux migratoires deviennent de plus en plus pressants et où est remise en question de multiples manières la pertinence des frontières, la pensée de ceux qui ont connu l'exil doit éclairer notre réflexion.
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Ouverts à ce qui nous depasse ; essai sur le présent vivant
Pierre Bertrand
- Liber
- 26 Février 2016
- 9782895785170
La philosophie, la littérature, les arts et les sciences augmentent notre puissance de vivre. Ils élargissent nos horizons, nous dévoilent une partie, une partie seulement, de la grandeur et de la complexité de la réalité, des autres et de nous-mêmes. Plus nous sommes ouverts à la réalité, plus nous sommes vivants - traversés et propulsés par sa puissance ou son énergie. Plus nous sommes ouverts, plus nous éprouvons l'affect d'étonnement, d'admiration et d'émerveillement. Notre défi à l'heure actuelle n'est pas tant d'augmenter notre puissance d'intervention, d'exploitation, de production et de destruction que d'accepter notre finitude. Notre capacité d'accepter de ne pas avoir de réponses à nos grandes questions constitue sans doute la part la plus noble de notre humanité. Cela n'est pas résignation, mais manière d'entrer autrement en relation avec le monde, avec les autres et avec nous-mêmes. La connaissance, telle que nous l'exerçons traditionnellement, est en grande partie liée à une volonté de maîtriser, de posséder, de dominer et d'exploiter. Nous pouvons être dans une autre relation, comme nous le sommes avec des êtres chers. Une part d'eux nous demeure obscure, mystérieuse, comme elle l'est pour eux-mêmes. Nous ne cherchons pas à les connaître ou à les expliquer de manière à pouvoir les utiliser, les manipuler et les exploiter. Nous apprenons plutôt à vivre avec eux dans le respect et l'affection mutuelle.
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L'objectif de ce livre est de préciser les différents sens que revêt le concept d'erreur, selon cinq grands types, sans doute les plus fondamentaux : l'erreur de raisonnement, l'erreur de jugement, l'erreur judiciaire, l'erreur scientifique et l'erreur morale. Mais les cinq études proposées visent aussi à introduire le lecteur à la philosophie qui se fait actuellement dans un dialogue fécond avec les sciences de la cognition.
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Si le concept de vérité chez Nietzsche a fait couler beaucoup d'encre, on ne peut en dire autant de sa vertu de vérité, sa probité. Pourtant Nietzsche lui-même répète que sa probité constitue une nouvelle vertu, qui le distingue parmi les philosophes. Il y voit même un titre de gloire posthume. Au sein d'une discipline où l'on fait profession de la vérité, une telle prétention a de quoi surprendre. Nietzsche serait-il plus philosophe que les philosophes ?
L'intérêt que suscite cette question dépasse le cadre des simples «études nietzschéennes». En se réclamant d'un souci sans précédent pour la vérité tout en étant un virulent critique de la notion, Nietzsche incarne le premier cette ambivalence qui forme désormais le lot du penseur d'aujourd'hui. Ce penseur dont la réflexion, rendue timide par les assauts de la déconstruction et du relativisme, porte le plus souvent en elle-même les éléments de sa propre remise en question. Ainsi en allait-il déjà de la pensée nietzschéenne. Ses interprètes plus rigoureux sont embêtés par son «surhomme» et son «éternel retour», ses plus romantiques le sont par sa lucidité impitoyable, et Nietzsche l'était par les deux. C'est un témoignage de sa probité qu'il n'ait pas cherché à cacher cette contradiction intérieure. Pour notre époque, il s'agit aussi d'une de ses plus précieuses leçons: paradoxalement, celui qu'on a souvent, et bien hâtivement, qualifié d'«irrationaliste» ou d'«esthète» nous montre comment la crise de la vérité ne signe ni la mort de la sagesse ni celle de la rigueur et de la lucidité philosophiques. Au contraire - qui l'eût cru? -, peut-être qu'une nouvelle éthique de la pensée se dessine ici. (L. G.)
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Pour une éthique de la dissidence : liberté de conscience, objection de conscience et désobéissance civile
Guy Durand
- Liber
- 1 Septembre 2005
- 9782895780557
"L'homme qui ne peut qu'obéir est un esclave; s'il ne peut que désobéir, il est un révolté", écrivait le psychologue Erich Fromm en 1963.
"Je suis loin de dire, continue-t-il, que toute désobéissance est vertu, et toute obéissance vice. Ce serait ignorer le rapport dialectique qui existe entre l'obéissance et la désobéissance." Antigone, Socrate, Jésus, Thoreau, Tolstoï, Gandhi, Luther King, l'histoire regorge de contestataires qui ont fait avancer la civilisation. Sans compter les mouvements collectifs de dissidence: quakers, mormons, manifestants contre la guerre, contre les expériences atomiques, contre la pollution, contre la mondialisation néolibérale, etc.
À partir d'un rappel de diverses manifestations d'objection de conscience et de désobéissance civile, l'auteur s'efforce de définir ces termes. Il fait surtout une analyse du phénomène d'un point de vue éthique. II s'interroge enfin sur l'attitude que devraient avoir les dissidents, mais aussi les législateurs, les tribunaux, la police, la population.
En son fond, l'objection de conscience n'est pas négative; elle n'est ni abstention ni passivité; elle doit, par sa force d'interpellation, témoigner des valeurs mêmes qui sont à sa source.
De dérangeur qu'il est, l'objecteur devient ainsi un éveilleur de conscience.
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L'orgueil qu'on enferme ; aphorismes sur l'écriture et la vanité
Christophe Etemadzadeh
- Liber
- 18 Novembre 2013
- 9782895784104
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« Pour l'instant ». La formule suggère que les mots consignés ici - réflexions, observations, rêveries, souvenirs - sont précisément dédiés à l'instant tel qu'il se présente : quelque chose de ce monde a alors fait qu'une pensée soit advenue. Les phrases qui la transcrivent sont donc à la fois une manière de reconnaissance de cela, une attestation, et une forme de gratitude à l'égard de ce qui s'est produit. Mais « pour l'instant » signifie aussi qu'on ne peut en dire plus, pour le moment, que ce qui est dit dans la circonstance. Ainsi, la reconnaissance de chaque instant qui vient est-elle marquée par l'ombre portée sur elle par la fuite impérieuse des instants. On aura reconnu dans la tension qui en résulte l'éternel affrontement de l'homme et de sa finitude.
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Vivre jusqu'à la fin ; figures du vivant devant la mort
Aline Giroux
- Liber
- 3 Novembre 2015
- 9782895785071
Devant la mort, chacun de nous sans doute essaie de dégager le sens de sa vie. Qu'ai-je fait ? Qu'ai-je pensé ? Qu'ai-je appris ? Pour la plupart également l'échéance inspire crainte et angoisse. Nombreux sont pourtant ceux chez qui « la pensée de la mort aide à mieux vivre » (Pierre Hadot) ou qui, la fin approchant, se proposent de traiter « du deuil et de la gaieté » (Paul Ricoeur). C'est vers quelques-uns de ceux-là, personnes historiques ou personnages littéraires (empruntés notamment à Montaigne, à Marguerite Yourcenar, à Alexandre Soljenitsyne et, plus près de nous, à Joan Didion), que se tourne cet ouvrage, pour en faire apparaître le désir de vie autant que la sagesse tragique. Face à la mort, disent-ils, il faut vivre jusqu'à la fin. Ils traduisent ainsi cette sagesse qui consiste dans la capacité de vivre au-dessus de ses conditions d'existence et d'accorder son sentiment au mouvement des choses. C'est cette sagesse qui leur permet de saisir l'essentiel de l'expérience humaine, le pur bonheur d'exister, au sein duquel l'Eros de vivre embrasse jusqu'à son envers, l'entrée dans la mort.